Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/844

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’obscurcit de nuées fort épaisses qui vinrent se résoudre en pluies si abondantes qu’à peine put-on allumer le feu pour la brûler. » Les autres complices du diable furent brûlées comme Rolande, mais Satan ne leur fit pas la même faveur, et aucune pluie ne tomba pour éteindre le bûcher.

Boguet, en homme prudent, n’a pas voulu laisser perdre les fruits de son expérience judiciaire, et à la fin de son livre il adresse, sous forme d’aphorismes, quelques bons conseils à ceux qui doivent juger des sorcières. Nous ne rapporterons que celui-ci : « Art. 63. Non-seulement il faut faire mourir l’enfant sorcier qui est en âge de puberté, mais encore celui qui est au bas (au-dessous de douze ans) si on reconnoît qu’il y ait de la malice en lui. Bien est vrai que je ne voudrois pas pratiquer en ce cas la peine ordinaire des sorciers, mais quel qu’autre plus douce, comme la corde. »

Vers la fin du XVIe siècle, ce ne sont plus les inquisiteurs et les prêtres qui ont la direction des procès de sorcellerie ; la justice civile, au moins en France, prend le premier rang. Bien plus, des prêtres seront accusés de sorcellerie et périront sur le bûcher. Déjà auparavant il y avait eu quelques exemples de prêtres sorciers ; le curé de Soissons, par exemple, dont parle Froissart, qui baptisa un crapaud, lui bailla l’hostie consacrée, et, pour ce, fut brûlé tout vif. Le curé de Saint-Jean-le-Petit, à Lyon, avait été brûlé en 1548 pour avoir dit et confessé qu’il ne consacrait point l’hostie quand il disait la messe afin de faire damner ses paroissiens. Bodin, et surtout de Lancre, estiment que ces châtimens sont fort justes. « Quand le prêtre s’oublie jusque-là de se dédier à Satan, la peine ne peut être assez grande. » De Lancre nous raconte l’histoire de messire Pierre Aupetit, âgé de cinquante ans, et prêtre depuis trente ans ; ce malheureux, étant accusé de sorcellerie par le sénéchal du Limousin, n’avoue rien d’abord. Mais à la torture, il confesse des choses étranges : que le diable lui apparaissait en forme de mouche, de papillon, de chat ; qu’il lui avait tourné le petit doigt, et rendu si raide qu’il ne pouvait le plier ; qu’il allait au sabbat, et lisait dans un livre imprimé avec des mots étranges qu’il n’entendait nullement. Le pauvre Aupetit, dégradé d’abord par l’évêque de Limoges, est ensuite brûlé tout vif avec force amendes.

Au commencement du XVIIe siècle, dans cette partie du pays basque français qu’on appelle le Labourd, il y eut une effroyable épidémie de démonomanie. Un seigneur de Santa-Fé, chez qui on avait fait le sabbat, et à moitié fou, alla demander assistance au Parlement de Bordeaux. Une commission royale fut donnée à deux magistrats de cette assemblée, MM. d’Espagnet et de Lancre. Mais bientôt d’Espagnet dut retourner à Bordeaux, De Lancre reste