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ne sauroit imaginer de quelle force elles criaient. Rien en cela comme dans le reste qui fût humain. » Quelquefois les convulsions. sont remplacées par l’extase, la catalepsie, et des symptômes analogues au somnambulisme. « Dans leurs assoupissemens elles devenaient souples et maniables comme une lame de plomb, en sorte qu’on leur pliait le corps en tous sens, en devant, en arrière, sur les côtés, jusqu’à ce que la tête touchât par terre, et elles restaient dans la pose où on les laissait, jusqu’à ce qu’on changeât leurs attitudes. » M. Figuier, qui a donné l’histoire détaillée de ce fameux procès, pense qu’il y a eu à Loudun des faits analogues à la prétendue lucidité des somnambules[1]. Mais ces faits sont des plus contestables, car il faut ajouter peu de foi au témoignage des exorcistes d’alors, fort crédules en général, et en particulier acharnés contre Grandier. D’ailleurs rappelons-nous que l’hystérie, l’hystéro-épilepsie, la catalepsie, le somnambulisme, sont des maladies voisines, que l’on passe facilement de l’une à l’autre, et que, dans tout accès démoniaque, il y a des périodes très analogues à l’accès de somnambulisme.

Le lendemain de son arrivée à Loudun, Laubardemont fait arrêter Grandier, l’auteur de toutes ces misères. Grandier persistant dans ses dénégations, on le fait comparaître devant les possédées pour confronter les démons et leur prince. La scène fut dramatique : car la présence de Grandier provoqua chez les religieuses de terribles accès. « Toutes les possédées firent entendre des cris fort étranges, persistant d’accuser Grandier de magie ; ce furent des convulsions si horribles, des postures si épouvantables, que cette assemblée pouvoit passer pour un sabbat. » L’un des démons cria que Béelzébut était entre Grandier et le père Tranquille, capucin ; presque aussitôt toutes voulurent se jeter sur lui, s’offrant de le déchirer, de montrer ses marques et de l’étrangler, quoiqu’il fût leur maître. Ces violences et ces rages furent poussées à un tel point que, sans le secours des personnes qui étaient au chœur, Grandier eût infailliblement perdu la vie.

N’ayant rien avoué, Grandier fut appliqué à la torture. Le chirurgien Mannoury, qui avait déjà cherché sur l’infortuné prêtre les stigmates du diable, fut chargé de recommencer cette besogne. Mais comme Grandier témoigna sa répugnance à se laisser toucher par Mannoury, ce fut un autre chirurgien plus humain, nommé Fourneau, qui s’en acquitta. Comme les moines et les juges voulaient faire mettre des pointes de fer entre les ongles et la chair,

  1. Gaston, duc d’Orléans, venu à Loudun pour voir les possédées, témoigna que les démons pouvaient exécuter des ordres secrètement donnés.