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des joncs, des soudes et des salicornes rappellent la végétation paludéenne et salée. Le Rhône la traversait jadis et y entretenait une certaine profondeur, dans une véritable rade intérieure très bien disposée pour recueillir les navires qui faisaient le cabotage dans le golfe de Lyon.

Le port de Saint-Gilles, d’après le témoignage d’Astruc, l’un des historiens du XVIIe siècle qui nous ont laissé les renseignemens les plus précis sur la topographie ancienne du Languedoc, fut extrêmement fréquenté pendant les XIe et XIIe siècles. C’est là que la princesse Emma, fille de Roger, comte de Sicile, aborda lorsqu’elle vint en France pour épouser Philippe Ier, qui lui fit faire d’ailleurs un voyage inutile. Le pape Celase II y débarqua en 1118 et Innocent II en 1130. Bertrand, comte de Toulouse, s’y embarqua pour la terre-sainte en 1109 avec quatre mille chevaliers sur quarante galères. Ce fut dans la lagune de Saint-Gilles que Louis VII le Jeune mit pied à terre, en 1148, à son retour de Syrie, et que vinrent aborder quelques années plus tard, en 1162, les ambassadeurs que Manuel Comnène envoya en France. Pendant tout le XIIIe siècle, Saint-Gilles fut un des premiers entrepôts sur notre littoral de la Méditerranée pour toutes les marchandises qui venaient de l’Orient. « Ce lieu, écrivait Benjamin de Tudèle qui le visitait vers 1160, est fréquenté par toutes les nations et par plusieurs insulaires depuis les terres les plus éloignées ; et on y voit en abondance sur ses quais, les drogues, les aromates et les épices du Levant. » Le Rhône les conduisait ensuite au cœur de la France.

Bien que le fond des étangs se fût considérablement exhaussé, le pays présentait encore l’aspect d’une lagune morte la veille du jour où le canal de Beaucaire à Aigues-Mortes vint établir une profonde saignée au milieu des étangs. Mais toute la plaine marécageuse ne devait pas cependant recueillir également le bénéfice du dessèchement. Elle se divise d’ailleurs en deux zones parfaitement distinctes : l’une embrassant le territoire compris entre Beaucaire et Saint-Gilles forme ce qu’on appelle les marais supérieurs ; l’autre comprend toute la partie située entre Saint-Gilles et la mer, ce sont les marais inférieurs. Ainsi que ces noms l’indiquent, les premiers sont à un niveau plus élevé que les seconds ; leur plafond se trouve à peu près à 0m,80 au-dessus du zéro de la mer ; les autres au contraire sont des cuvettes dont le sol est inférieur au niveau de la Méditerranée qui en est assez proche ; l’eau qui les remplit est stagnante, putrescible, toujours saumâtre, souvent salée.

Les marais supérieurs n’ont pas été difficiles à dessécher. Il a suffi de les entourer d’une rigole de ceinture, protégée par une chaussée ; dans cette rigole sont venues se rendre toutes les eaux de la lagune que l’on a évacuées dans le bief inférieur du canal de