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Présenté à l’empereur Chen-Tsoung et admis à exposer ses théories, Wang-ngan-Ché sut séduire sans effrayer. Orateur habile et réformateur convaincu, il exposa au souverain quelle gloire serait la sienne si l’humanité lui devait son bonheur. La tâche était facile ; les traditions avaient fait leur temps, une ère nouvelle commençait ; il fallait abandonner complètement les vieux erremens, diriger ce courant qui menaçait de tout emporter, édifier un nouvel ordre social ; la suppression de la misère dépendait de la volonté de l’empereur, s’il osait vouloir, elle cesserait d’exister.

Cette première entrevue fit une favorable impression sur Chen-Tsoung. Elle fut suivie de plusieurs autres, dans lesquelles Wang-ngan-Ché développa ses plans avec un art infini, se jouant d’obstacles dont en réalité il ignorait la force ; d’autant plus dangereux qu’il était plus sincère et qu’il mettait au service d’une idée fausse, mais séduisante, l’ardeur d’une conviction profonde. Dans l’entourage impérial, un seul homme résistait, mais c’était un redoutable adversaire.

Ssé-ma-Kouang, conseiller intime de l’empereur, son premier ministre, avait pour lui l’autorité de l’âge, de l’expérience, des services rendus et d’une réputation de sagesse méritée. Lettré distingué, cet homme d’État a laissé une trace profonde dans l’histoire littéraire de la Chine. On a de lui un délicieux petit poème intitulé Mon Jardin, dans lequel il décrit son palais d’été, ces sentiers sinueux, ces allées fuyantes, cet habile arrangement de la nature auquel on a donné depuis, et à tort, le nom de « jardin anglais » et qui devrait porter celui de « jardin chinois. » Quelques fragmens aideront à comprendre le caractère et la nature de l’homme qui allait entamer avec le hardi réformateur une lutte redoutable. Après la peinture poétique d’une-journée passée à errer dans son parc, il termine ainsi : « Les rayons obliques du soleil mourant me surprennent assis sur un tronc d’arbre, épiant en silence les inquiétudes d’une hirondelle voletant autour de son nid, ou les ruses d’un milan pour surprendre sa proie. La lune déjà levée me trouve encore en contemplation. Le murmure des eaux, le bruissement des feuilles agitées par le vent, la beauté d’un ciel pur me plongent dans une douce rêverie ; la nature entière parle à mon âme ; je m’égare en l’écoutant, et la nuit me ramène lentement au seuil de ma demeure.

« Mes amis viennent parfois charmer ma solitude, me lire leurs ouvrages et entendre les miens. Le vin égaie nos frugals repas, suivis de sérieux entretiens, et tandis que la cour, que je fuis, sourit à l’énervante volupté, prête l’oreille à la calomnie, forge des fers et tend des pièges, nous, ici, nous invoquons la sagesse et lui offrons nos cœurs. Mes yeux se tournent toujours vers elle ; mais, hélas ! pourquoi ses rayons ne m’éclairent-ils qu’à travers des