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REVUE LITTERAIRE

LE ROMAN EXPERIMENTAL

« Voici venir le buffle ! le buffle des buffles ! le taureau des taureaux ! lui seul est un buffle, tous les autres ne sont que des bœufs ! Voici venir le buffle des buffles ! le buffle ! » C’est ainsi que jadis, aux beaux jours du romantisme, à ce que raconte Henri Heine, je ne sais plus quel grand critique s’en allait criant en avant de je ne sais plus quel grand poète. Depuis plusieurs années déjà, ce critique, ou plutôt cette espèce de cornac littéraire, le naturalisme l’a demandé vainement aux échos d’alentour. Moins heureux que le romantisme, il n’a pas pu le trouver encore, et l’écho n’a rien répondu. Personne encore ne s’est rencontré qui voulût prendre à tâche de commenter didactiquement les beautés de l’Assommoir ou du Ventre de Paris, c’est-à-dire personne qui fût aussi naïvement infatué de M. Zola que lui-même. Là-dessus M. Zola n’avait plus qu’une chose à faire, il l’a faite. Il est devenu son propre critique. Un feuilleton hebdomadaire ne lui a pas suffi. Il a composé, pour l’exportation, d’abord, et notamment à destination de Saint-Pétersbourg, de longues études sur les Romanciers contemporains, ou sur la République et la Littérature : maintenant il vient d’écrire pour nous une copieuse dissertation sur le Roman expérimental : c’est le moment de le mettre en expérience à son tour, et de juger un peu ce grand juge des autres.

S’il y a des écrivains inférieurs à leur réputation, cependant on ne laisse pas aussi d’avoir vu quelquefois des esprits supérieurs à leurs œuvres. Je ne crois pas, à la vérité, que ce soit tout à fait le cas de M. Zola ; mais enfin, quand il serait l’auteur de romans moins bons encore que les siens, il se pourrait qu’il eût sur l’avenir du roman des idées qui valussent la peine au moins d’être discutées. Et quand la prose de ses feuilletons ou de ses études serait encore plus froide et plus embarrassée, cela n’empêcherait pas qu’il pût avoir, malgré tout, le coup d’œil aussi juste qu’il a la main hésitante, la pensée même aussi haute ou profonde qu’il a le style plat.

Car il a le style plat, et je ne puis pas même accorder aux