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admirateurs de M. Zola qu’il convienne de saluer en lui ce qu’on appelle « un écrivain de race, » encore moins « un maître de la langue. » Il ne faut pas ici que quelques pages descriptives nous fassent illusion. Écrivain, M. Zola ressemble à ce roi des halles, dont on disait qu’il savait tous les mots de la langue, mais qu’il ignorait la manière de s’en servir. M. Zola sait aussi lui tous les mots de la langue, il en sait même plusieurs qui ne sont ni de la langue, ni d’aucune langue du monde, mais ni des uns ni des autres il ne sait le sens, la place, l’usage. Regardez-y de près. « Je résume cette première partie en disant que les romanciers observent et expérimentent, et que toute leur besogne naît du doute où ils se placent en face des vérités mal connues, jusqu’à ce qu’une idée expérimentale éveille brusquement un jour leur génie, et les pousse à instituer une expérience pour analyser les faits et s’en rendre maîtres. » Veuillez relire attentivement cette seule phrase ; il est évident que M. Zola ne sait pas ce que c’est qu’une expérience et qu’il parle science ici, comme tout à l’heure vous l’entendrez parler métaphysique, avec une sérénité d’ignorance qui ferait la joie des savans et des métaphysiciens. Il est évident que M. Zola ne pèse pas la valeur des mots, car il n’appellerait pas l’idée d’une expérience possible une « idée expérimentale. » Si ces deux mots associés veulent dire quelque chose, ils ne peuvent signifier qu’une idée induite, conclue, tirée de l’expérience, quelque chose de postérieur à l’expérience, non pas d’antérieur, une acquisition faite et non pas une conquête à faire. Il est évident que M. Zola ne sait pas ce que c’est qu’expérimenter, car le romancier comme le poète, s’il expérimente, ne peut expérimenter que sur soi, nullement sur les autres. Expérimenter sur Coupeau, ce serait se procurer un Coupeau qu’on tiendrait en chartre privée, qu’on enivrerait quotidiennement, à dosage déterminé, que d’ailleurs on empêcherait de rien faire qui risquât d’interrompre ou de détourner le cours de l’expérience, et qu’on ouvrirait sur la table de dissection aussitôt qu’il présenterait un cas d’alcoolisme nettement caractérisé. Il n’y a pas autrement ni ne peut y avoir d’expérimentation, il n’y a qu’observation, et dès là c’est assez pour que la théorie de M. Zola sur le Roman expérimental manque, et croule aussitôt par la base. On pourrait multiplier les exemples, mais à quoi bon ? Cherchez vous même dans ce mélange de paradoxes et de banalités que M. Zola nous a donné sous le titre de Roman expérimental, je ne dis pas une phrase, ou même un mot, qui commande l’attention et qui se grave dans le souvenir, mais seulement une idée nette, nettement exprimée : vous la chercherez longtemps. S’il existe un art d’écrire, si cet art a jamais consisté dans le juste emploi des mots, dans l’heureuse distribution des parties de la phrase, dans l’exacte proportion des développe mens et de la valeur des idées, M. Zola l’ignore. Là pourtant, et non ailleurs, est l’épreuve d’un écrivain vraiment digne de ce nom. Des descriptions et des