Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peintures ne prouvent pas que l’on sache écrire, elles prouvent uniquement que l’on a des sensations fortes. C’est à l’expression des idées générales que l’on attend et que l’on juge l’écrivain. Assurément M. Zola réussit à se faire entendre, et c’est quelque chose déjà, mais qu’on le mette au rang des « écrivains, » c’est ce qui n’est pas plus permis, en vérité, que de l’inscrire parmi les romanciers.

Le grand défaut de M. Zola, comme romancier, c’est de fatiguer, de lasser, d’ennuyer. Je sais qu’il répond et qu’il croit victorieusement répondre en invoquant les soixante-seize ou soixante-dix-sept éditions de l’Assommoir ; — sans compter l’édition illustrée. Lui plaît-il qu’on ajoute qu’il n’est pas douteux que Nana remporte à son tour le même succès de librairie ? Soit encore. Mais une Page d’amour ? mais Son Excellence Eugène Rougon ? mais la Conquête de Plassans ? mais la Faute de l’abbé Mouret ? Combien ont-ils eu d’éditions, ces fragmens de l’interminable histoire des Rougon et des Macquart ? C’en devrait être assez pour avertir M. Zola que le succès de l’Assommoir n’a tenu, comme celui de Nana, qu’à des causes tout extérieures. On a prononcé plus d’une fois, depuis quelque temps, à l’occasion de M. Zola, le nom de Restif de la Bretone. Celui-là, qui fut aussi dans son temps un conteur à la mode, et qui connut toutes les ivresses de la popularité, quand on lui faisait observer « que ses ouvrages ne se vendaient qu’à raison des endroits libres, » répondait que le propos était « d’un libraire borné. » On n’a pas tiré de la comparaison tout le parti qu’on en pouvait tirer. Restif en effet ne fut pas seulement l’anecdotier des mauvais lieux, il fut aussi, voilà cent ans, une façon de réformateur. « Ce n’est pas ici, disait-il, en annonçant lui-même je ne sais lequel de ses ouvrages, une jolie fadaise à la Marmontel, ou à la Louvet, c’est un utile supplément à l’Histoire naturelle de Buffon. » Changez les noms : l’auteur de 'Nana continue Claude Bernard comme l’auteur de la Paysanne pervertie continuait Buffon. Sans doute, disait-on encore à Monsieur Nicolas, vos intentions sont bonnes et vous prêchez « la vertu la plus pure, » cependant, ne croyez-vous pas qu’il y ait quelque danger « à montrer ainsi le vice à découvert ? » Du danger ? « Moi, je brave les puristes, répondait-il avec l’accent de l’indignation, pour démasquer le vice et instruire les parens. » M. Zola brave aussi les puristes, et c’est pour l’instruction des parens qu’il nous raconte l’histoire de Nana, la fille à Coupeau. Mais d’ailleurs que l’auteur de l’Assommoir est timide encore à côté de Restif et comme le conteur du XVIIIe siècle l’emporte sur son rival dans ses scrupules de naturaliste ! Ce n’est pas Restif qui se fût contenté de faire poser pour un de ses romans quelque modèle vague, dont le nom se murmure à l’oreille : il imprimait les gens tout vifs et il vous disait : « La principale héroïne de l’Amour muet est Mlle Manette-Aurore Parizot, fille du fourreur actuellement à côté de l’ancienne salle de la Comédie française. » Les curieux au moins y pouvaient aller voir ! Il