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LA
RÉPUBLIQUE LIBÉRALE

C’est une tâche fort ingrate que de dire la vérité à son parti, en croyant le mieux servir par de franches paroles que par un complaisant silence. On n’y recueille que des remontrances aigres-douces chez les modérés, de blessantes personnalités chez les violens. Les vilains mots ou les perfides insinuations ne sont pas ménagés à ceux qui ont ce courage. Ils n’ont pour toute récompense que les complimens des adversaires. Les plus vieux, les plus fidèles, les plus dévoués amis de la cause qu’on a servie en commun sont traités de faux frères qui viennent rompre la discipline du parti et jeter leur voix discordante dans un concert où toute voix doit se confondre en un chœur puissant et dominateur. On n’est plus un sincère ami de la république parce qu’on la comprend autrement ; on est un déserteur de la démocratie, c’est le mot des journaux de la république athénienne, parce qu’on ne cède pas à ses entraînemens. Faut-il s’en étonner et s’en plaindre? En aucune façon. Le monde de la politique n’est point une académie où tout se dise avec grâce et douceur, où les mots méchans soient inconnus, où les malices elles-mêmes ne passent qu’à travers les complimens. C’est une rude école en tous temps et par tout pays. A la violence et à la brutalité du langage politique, on ne s’aperçoit guère que l’Angleterre est un pays d’aristocratie. On sait que la démocratie américaine dépasse toutes les bornes. Soyons justes pour notre pays. Quels que soient les progrès que nous ayons faits en démocratie, sous le régime des assemblées délibérantes, nos parlemens ont toujours donné, sauf de rares exceptions, l’exemple des convenances et des manières courtoises dont le goût français n’a point encore perdu l’habitude, et dont la rudesse allemande ou anglo-saxonne se soucie fort peu, surtout dans les parlemens américains. Quant à la presse politique, elle prend partout à peu près les mêmes licences envers les personnes. Si l’on relit les journaux français,