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sous nos gouvernemens monarchiques, on s’aperçoit à peine qu’elle ait changé de ton, à mesure qu’elle est descendue dans les profondeurs des nouvelles couches sociales. Elle s’est toujours permis les mêmes excès de plume quand elle s’est sentie libre.

Les hommes au tempérament politique s’émeuvent médiocrement des attaques personnelles de la presse. Ce n’est pas seulement parce que l’habitude en émousse les traits, ou que l’orgueil n’en laisse pas arriver les coups jusqu’à la personnalité qu’elles visent ; c’est aussi qu’ils savent que ces excès de plume ne sont pris au sérieux ni par le public éclairé, ni surtout par ceux qui se les permettent. Quand ils se voient appliquer les plus malsonnantes épithètes du vocabulaire politique, ils se consolent et sourient en pensant que le jour où l’on aura besoin de leurs services, ils retrouveront la sympathie, la popularité, jusqu’à la profonde estime des journaux qui les ont calomniés et outragés. Casimir Perler, Guizot et Thiers le savaient bien, et quand le Journal des Débats, qui, par parenthèse, n’a jamais injurié personne, a dit à l’un d’eux, après la fameuse campagne de la coalition, sous la monarchie de juillet : « Vous pourrez avoir notre appui, vous n’aurez plus notre estime, » il oubliait, dans un accès de dépit, que la politique a des vicissitudes inévitables où les notes les plus contraires se succèdent parfois sans transition. Les hommes courageux du parti libéral républicain, comme MM. Dufaure, Jules Simon, Laboulaye, peuvent compter que tout ce tapage de récriminations amères ou de grossières injures finira, quand l’infatuation du succès aura fait place au sentiment du péril commun dans le camp républicain. La passion politique frappe fort, sans s’inquiéter de frapper juste. Quand l’homme qu’elle attaque est un adversaire, elle en fait un ennemi capable des plus noirs desseins, sinon de tous les crimes. Elle lui refuse le talent, la conscience, le patriotisme. Si c’est à l’un des siens qu’elle s’en prenne, elle en fait un intrigant, un ambitieux sans scrupule, qui trouble l’eau pour pêcher plus fructueusement. Elle a besoin de tous ces gros mots pour enlever son crédit, sa popularité, sa puissance à l’homme qui fait obstacle à la politique de ses patrons. La presse des partis ne perdrait pas son temps à ce jeu, si elle ne comptait sur la naïveté, certains journaux diraient la niaiserie d’un public qui les lit. Mais qu’y faire? L’ignorance et la sottise n’ont-elles pas fait de tout temps le succès de la calomnie et de l’injure?

Les amis de la république libérale qui viennent de se séparer à regret d’anciens compagnons d’armes pour rester fidèles aux principes de toute leur vie trouveront tôt ou tard, non pas justice, ils ne sont méconnus que par une presse passionnée, mais concours dans le parlement et dans le pays. On sait qu’ils ne vont point à