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n’est qu’elle avoit les yeux noirs et que vous les avés bleus comme Minerve.

On attend ici la cornette pour demain, il y a des églises dont les confessionaux ne desemplissent pas, mais le peuple est fort inquiet de savoir si la terre sera brûlée ou noyée, c’est ce qu’on sçaura demain.

Si M. Necker veut me prêter son mémoire sur la compagnie des Indes, je lui serai très obligé. Je crois que j’aurai le temps de le lire. Du moins je le désire beaucoup, j’en ai ouï dire tant de bien et j’ai une si bonne opinion de son goust que je serai fort sensible à cette marque de sa confiance.

Agréés, madame, les sentiments de respect et d’attachement avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur

de Saint-Pierre.

Paris, ce 11 may 1773 (hôtel de Bourbon, rue de la Magdelaine).


Dans les propos qui s’échangeaient aux vendredis de Mme Necker on peut penser qu’il était souvent question de l’Académie française. Presque tous les habitués de son salon en faisaient partie, et ils devaient profiter de ces fréquentes rencontres pour s’entretenir ensemble des prix qu’ils avaient à distribuer (et dont M. Necker fut honoré deux fois), ou des discours qu’ils avaient entendus. Ce n’était pas une mince affaire qu’une réception académique dans un temps où le moindre événement littéraire avait autant et sinon plus de retentissement qu’une bataille. Ce jour-là, bien des hardiesses qui aujourd’hui nous sembleraient des banalités se débitaient aux applaudissemens du public, sous cette forme élégante et un peu solennelle qu’on aurait grand tort de supprimer de notre littérature moderne, où seule elle représente aujourd’hui ce que nos pères appelaient autrefois le genre noble. Mais une élection était chose bien plus importante encore. L’Académie française, qui a eu, comme toute puissance en ce monde, ses momens de popularité ou de défaveur, était alors à son apogée. Dans la lutte engagée par les philosophes et les gens de lettres contre les formes surannées d’une société dont ils ne croyaient pas la chute aussi prochaine, un fauteuil académique était comme un trépied du haut duquel il était plus commode et plus sûr de lancer des foudres et de rendre des oracles. Aussi les compétitions étaient-elles des plus vives dès qu’un de ces postes de gloire et de combat devenait vacant, et Mme Necker se trouvait tout naturellement informée des préliminaires et des péripéties de ces batailles littéraires. Marmontel la tenait au courant de ses efforts pour faire triompher la candidature