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croisade. Le bruit public fut que le pape avait laissé à ses neveux et à ses autres parens des trésors incalculables.

L’anarchie qui suivit la mort de Clément montra combien cette famille était indigne de tenir en main les intérêts de l’Église. Le conclave s’était réuni à Carpentras; le vicomte de Lomagne et Raymond Guillaume de Budos, neveux du pape, à la tête d’un grand corps de troupes gasconnes, envahirent la ville. Le but apparent était de venir prendre le corps du pape défunt pour le conduire à Uzeste; mais le but secret était d’intimider le conclave et de faire nommer quelque nouveau membre de la famille de Villandraut. Il y eut une bataille sanglante entre les Italiens et les Gascons. Les Gascons l’emportèrent, pillèrent les marchands romams, mirent le feu aux maisons des cardinaux, qui se dispersèrent à Orange, à Avignon, Philippe le Bel mourut sur ces entrefaites. Cet événement ne fit qu’augmenter le trouble. Le saint-siège resta vacant deux ans trois mois et dix-sept jours.

Le mécontentement contre la mémoire de Clément était extrême. On montrait, comme résumé de son pontificat, Rome tombée en ruines, le patrimoine de Saint-Pierre au pillage, toute l’Italie négligée comme si elle n’était pas du corps de l’Église. « Nous nous rappelons que nous avons été onze mois en prison à Pérouse, écrivait au roi le cardinal Napoléon des Ursins, et Dieu sait quelles souffrances du corps et quelles angoisses de l’âme nous y avons endurées. J’ai abandonné ma maison pour avoir un pape français, car je désirais l’avantage du roi et du royaume, et j’espérais que celui qui suivrait les conseils du roi gouvernerait sagement Rome et l’univers et réformerait l’Eglise... C’est pour cela qu’après avoir pris toutes les précautions, nous choisîmes le feu pape, persuadés que nous avions fait le plus magnifique présent au roi et à la France. Mais, ô douleur! notre allégresse se changea en deuil; car, si l’on pèse les œuvres du défunt, par rapport au roi et au royaume, on trouve que sous lui sont nés de graves périls ; on ne prévit rien, on ne prit aucune précaution, et l’absence de prudence aurait amené une catastrophe, si la main de Dieu n’était venue miséricordieusement à notre secours. »

Il y avait, dans cette sévérité exagérée, beaucoup de rancunes nationales. Sur les reproches de simonie et de népotisme, Clément ne saurait être justifié. Même au temps du concile, on l’accusa de n’avoir convoqué l’Église universelle que pour se faire tout demander à prix d’or. Clément eut la passion du luxe et, pour y subvenir, trafiqua souvent des choses saintes. Il aima du moins le luxe de bon goût, et fut, de son temps, un des fauteurs les plus actifs du progrès de l’art. Tous les ouvrages auxquels son nom reste attaché sont excellens. Clément V fut le premier de ces pontifes