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promoteurs ardens de la renaissance, pour lesquels les historiens ecclésiastiques ont le droit de se montrer sévères, mais qui contribuèrent puissamment à l’éveil de l’esprit humain et à clore le moyen âge. Il rechercha, surtout parmi les médecins, les gens capables; les plus hautes dignités lui semblaient naturellement dévolues à celui qui le guérissait. C’est ainsi qu’il protégea Arnauld de Villeneuve, Jean d’Alais, Pierre d’Achspalt, et si, trop souvent, sous son règne, surtout dans le nord de l’Italie et en Autriche, le supplice du feu et les plus terribles tortures furent appliqués à des malheureux, coupables d’un attachement exagéré pour des chimères, il faut reconnaître que toutes ces victimes, telles que Frà Dolcino, Marguerite de Trente et leurs adhérens, fratricelles, disciples de Gérard Ségarelle, etc., furent des illuminés, péchant par excès plutôt que par manque de foi. Il ne fut terrible qu’aux rêveurs fanatiques. Sous son règne on put souffrir pour trop croire ; on ne souffrit jamais pour ne pas croire assez. Son caractère était humain; ses mœurs passaient pour relâchées. L’éclat de ses amours avec la comtesse de Périgord, fille du comte de Foix, ne fut atténué par aucune précaution susceptible d’en diminuer le scandale.

On a eu tort de lui reprocher d’avoir abaissé la papauté. La papauté était abaissée quand il y fut promu ; il fit ce qu’il put pour la relever et déploya dans cette œuvre une véritable habileté. Arracher totalement la papauté à l’influence française était impossible. Ce qu’il y a de bien remarquable, c’est que cette papauté, incontestablement avilie depuis qu’elle avait absous et même loué de leurs exploits les Philippe et les Nogaret, fut dans le reste de l’Europe grande et forte. Toute la haute politique du temps passa entre les mains de Clément. Il disposa à son gré des couronnes, réconcilia les souverains entre eux, avec leurs barons et leurs peuples, gouverna des pays entiers par ses légats. En Hongrie, en Allemagne, ses procédés sont fiers, impérieux ; il maintient partout son droit de suzeraineté, il fixe aux plus puissans personnages le jour où ils doivent venir se présenter devant le saint-siège. En Angleterre, il délie le roi de l’obligation de respecter les lois du pays. En France, il tranche en faveur du roi la question de la souveraineté de Lyon. Loin de se relâcher, le gouvernement intérieur de l’église ne fit, sous lui, que se fortifier ou du moins se centraliser. Les pouvoirs du pontife romain devinrent de plus en plus absolus; le peu de liberté qui restait aux églises disparut; le choix des évêques fut enlevé presque complètement aux diocèses. On lui prêta le mot de Néron : « Jusqu’à moi, on n’avait pas su ce que c’est que d’être prince. » Souvent il arrive que les institutions ne disent leur dernier mot qu’au moment qui semble être celui de leur mort.


ERNEST RENAN.