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pour suivre au Maroc M. Benjamin Constant, un autre coloriste. On retrouve dans son Charmeur de serpens sa facilité de bon aloi et sa couleur brillante. Mais pourquoi a-t-il donné cette silhouette simiesque au nègre qui, debout à la droite du tableau, regarde les exercices du charmeur de serpens? A-t-il voulu apporter un nouvel argument aux théories de Darwin? M. Jundt a sacrifié mal à propos au « japonisme. » Est-ce de lui, de lui qui sait si admirablement envelopper ses silhouettes dans l’air ambiant, cette lourde figure de Japonaise dont les contours secs se détachent crûment sur le fond? que le peintre des herbes humides de rosée et des horizons vaporeux revienne bien vite à ses poétiques jeunes filles d’Alsace. Dans les peintures de genre, citons encore un panneau décoratif d’Alfred Stévens, d’un pénétrant sentiment de mélancolie, et la Joueuse de tympanon, un rêve rose et bleu de Charles Voillemot.

La vaillante escouade des peintres militaires est sous les armes. Aucun ne manque à l’appel. Voici, de Dupray, une Mise en batterie d’un furieux mouvement et une Revue d’inspection générale qui fait regretter les jolis uniformes du second empire, les lanciers avec leur shapska et leur plastron à la couleur du régiment, les chasseurs avec leur élégant talpach et leur dolman à brandebourgs noirs. Voici, de Berne-Bellecourt, deux cuirassiers au Jardin des Plantes en contemplation devant la cage des singes, et une Corvée de foin dans un paysage d’une crudité rare. M. de Neuville expose un petit portrait équestre du général Stroukof. Le général porte la tenue de campagne : longue capote verte, large pantalon à bande, grandes bottes, casquette plate à turban rouge, sur la poitrine et à la garde du sabre le ruban de Saint-George. Entre parenthèses, n’y a-t-il pas une grande et touchante idée dans cette coutume russe qui consiste à décorer le sabre en même temps que le soldat? Nous avons été agréablement surpris par le Parlementaire aux avant-postes, de M. Détaille. Le jeune peintre a agrandi ses figures et a grandi sa manière. Quand, en pleine période de succès, un peintre cherche une voie nouvelle, c’est le signe certain que c’est un véritable artiste. De telles tentatives ne sont pas toujours du goût du public, elles sont toujours à l’honneur du peintre. La composition du Parlementaire est conçue en hauteur. Au premier plan, trois chasseurs à pied, vus de dos, regardent avec curiosité la scène qui se passe devant eux. Au second plan, sur un terre-plein, un officier de hussards rouges, entouré d’un groupe de chasseurs, se fait bander les yeux par un sergent, tandis que le commandant de la grand’garde jette un coup d’œil sur les papiers que lui a remis le parlementaire. L’ordonnance de celui-ci, un cavalier portant le fanion blanc, est resté en selle et tient par la bride le cheval de l’officier. M. Détaille a traité des sujets plus dramatiques et plus animés, il a trouvé des compositions mieux liées; jamais il n’a peint avec cette largeur et cette fermeté. Nous saluons ce tableau comme une brillante promesse ;