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en décadence; mais il est permis de penser que, lorsqu’il a peint ces deux tableaux, il était moins bien inspiré que de coutume.

La petite toile de M. Gérôme ne révèle pas non plus une nouvelle face de son talent, mais elle en confirme la caractéristique, qui est l’exactitude de la couleur locale. Que M. Gérôme peigne des Grecs dans le gynécée ou des Romains dans l’amphithéâtre, des Turcs aux portes des bazars ou des Égyptiens aux portes des mosquées, ce sont bien des Grecs, des Romains, des Turcs et des Égyptiens qu’il nous représente, et non des modèles d’atelier drapés de la toge ou coiffés du turban. Costumes, architecture, paysage, attitudes, physionomies, tout est l’expression exacte de l’époque et de la contrée. Le voyageur, l’archéologue, l’ethnographe ne trouveraient pas un détail à reprendre. Dans le tableau exposé place Vendôme, M. Gérôme a appliqué à un sujet presque contemporain cette recherche juste et profonde de la vérité locale qui est sa qualité maîtresse. C’est une élégante antichambre du temps de la restauration, tendue d’un papier peint, violet pâle, à décor de lyres, où est accrochée dans sa large bordure d’or une lithographie de la Fontaine des Amours. Assis sur un canapé de velours d’Utrecht, un grave personnage (anno Glatis suæ L, comme aurait mis Holbein) commence à s’impatienter de la longue attente qu’on lui fait subir. Un bouquet qu’il a posé près de lui, sur le canapé, semble indiquer qu’il n’est pas venu pour une visite d’affaires. Mais, bien que la physionomie sévère et dure de ce galantin s’éclaire d’une expression de sentimentalité tout à fait dans le caractère de l’époque et bien que son habillement soit de la meilleure coupe et à la dernière mode du jour : carrick vert-bouteille à triple collet, gilet de Casimir, culottes courtes, bas de soie, souliers à boucles d’argent, large cravate blanche autour du cou et chapeau tromblon à la main, on comprend que la maîtresse du logis ne soit pas très pressée de le recevoir. Après cette heureuse excursion en plein XIXe siècle, pourquoi M. Gérôme ne peindrait-il pas un tableau tout contemporain? Personne ne laisserait sur notre époque un document aussi complet et aussi précis.

M. Georges Clairin ne prétend pas à la finesse de touche ni à la fermeté de modelé de M. Gérôme. Mais il est né coloriste. La couleur est un don merveilleux, à la condition qu’on n’en abuse pas. Dans son Jour de fête à Barcelone, M. Clairin a su résister à l’entraînement; il a fait un excellent tableau. Rien de plus charmant que cette terrasse peuplée de jeunes femmes babillant à l’ombre des glycines en fleurs. Quelle grâce sous les mantilles, sous l’éventail quels sourires! Les détails d’architecture, balustres ouvrés, corbeaux finement sculptés, guivres en têtes de bêtes et de grotesques, sont enlevés d’un pinceau alerte. Les tons gris et luisans des vieilles pierres s’harmonisent à merveille avec les couleurs vives et gaies des robes et des éventails. Quittons la Catalogne