Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE DRAMATIQUE

COMÉDIE FRANÇAISE

Daniel Rochat, comédie en 5 actes, de M. Victorien Sardou.

Hier encore, M. Victorien Sardou paraissait avoir contracté avec l’inconstante fortune un mariage sans divorce. C’était un écrivain heureux, ou plutôt c’était l’écrivain heureux. De ses difficiles et laborieux débuts il n’avait gardé que les fortes qualités acquises dans la lutte et le légitime orgueil d’avoir gagné le terrible pari que tout homme de lettres jeune et pauvre fait avec soi-même, pari dont il est à la fois le joueur et l’enjeu. À cette réputation M. Sardou avait ajouté presque aussitôt l’honneur du fauteuil académique. Il semblait que ce fussent là d’irrésistibles encouragemens à persévérer dans cette voie de la comédie de mœurs qu’il avait si glorieusement et si fructueusement suivie, d’autant que cette voie, bien loin d’être plate et monotone, ressemble à ces chemins à mi-côte d’une montagne, féconds en détours, riches en aspects changeans et divers comme le paysage qu’ils traversent. Il reste dans notre société contemporaine assez de menu ridicule, de naïve ou de prétentieuse sottise pour que la verve satirique de l’auteur de la Famille Benoîton eût lieu de s’exercer en toute franchise. Il reste assez de bonne humeur, de bon goût et de bonne compagnie dans le public français pour que l’auteur des Pattes de mouches fût assuré de trouver des mains prêtes à l’applaudir dans ses mots adroits, dans la svelte allure de son dialogue, dans ses qualités de jolie observation et de très habile agencement. Les succès passés semblaient donc le mener tout droit au succès futur, comme d’une station de chemin de fer on passe à une autre, — sans qu’il eût besoin de quitter le train où il s’est installé lors de son départ pour l’avenir.