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rôle à la fois illogique et inintelligent qu’il a cru devoir adopter. Léa Henderson est-elle davantage au moins le type achevé de la femme croyante? Évidemment non, et il suffit pour le démontrer de remarquer qu’au cours de leur vie commune de plusieurs semaines, elle ne s’est pas seulement une fois enquise des convictions de celui qu’elle commençait d’aimer. C’est assurément une personne en qui les sentimens religieux sont relégués tout à l’arrière-plan, car elle n’ignore point qu’il y a un mouvement philosophique actuel, puisque M. Sardou nous la donne pour aussi instruite qu’intelligente ; elle sait que ce mouvement philosophique va souvent à l’encontre des idées religieuses, et néanmoins ce n’est qu’après le mariage civil qu’elle s’avise que son mari pourrait bien appartenir à ce mouvement! Ajoutez à cela qu’en sa qualité de protestante, elle considère le mariage religieux, non pas comme un sacrement, mais comme un simple appel à la bénédiction de Dieu, et vous avouerez que, si l’intolérance de Rochat ne saurait nous être présentée comme le type de la négation contemporaine, le spiritualisme de Léa ne peut guère non plus nous être présenté comme le type de l’idéalisme féminin.

Il résulte de cette insuffisance des deux caractères principaux que leur duel est comme factice, et ne nous mord point sur l’imagination comme celui, par exemple, d’un Alceste et d’une Célimène ou simplement d’un Giboyer et d’un marquis d’Auberive. Ce sont deux personnages que M. Sardou a choisis, comme il eût convenu pour une comédie moyenne, dans la catégorie des personnages moyens. Par suite, la logique de leur nature les entraîne l’un comme l’autre à ces solutions moyennes qui sont, en définitive, celles de la vie de tous les jours. Ni les études philosophiques de Daniel n’ont été assez profondément creusées, ni le spiritualisme de Léa n’est assez exalté pour qu’un amour sincère n’emporte pas au vent le scepticisme de l’un, et même la foi superficielle de l’autre. Les luttes d’exception ont pour théâtre des âmes d’exception, sinon elles paraissent hors de la mesure, hors de la vraisemblance, hors du naturel. Et pour surcroît, dans la circonstance présente, cette lutte d’exception ne saurait donner matière à aucun dénoûment définitif. Que Léa cède et consente à épouser Daniel sans mariage religieux, cessera-t-elle d’être en désaccord avec lui sur le fond de ses croyances? Que Daniel cède, comme tout le lui commande, excepté son ambition, en croira-t-il davantage? Il ne leur reste donc qu’à s’en aller chacun de son côté, ce qu’ils auraient fait bien avant le mariage civil, n’était l’équivoque dont nous parlions tout à l’heure.

Un quiproquo d’abord, — puis, trois actes durant, un piétinement de personnages dans une impasse où retentissent les déclamations d’un matérialisme banal ou d’une religiosité vague, telle se trouve être, en dernière analyse, cette œuvre d’un homme du plus rare talent, qui,