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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/235

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du gouvernement, ni le sens du progrès, et qu’avec tout cela ils ont de la peine à former une majorité suffisamment coordonnée pour soutenir avec quelque ensemble un ministère par lequel ils se croient représentés.

On a pu le voir encore une fois tout récemment par ces discours qui ont été prononcés dans des réunions des deux principaux groupes de la majorité, la gauche républicaine et l’union républicaine. Les nouveaux présidens de ces deux groupes, M. Devès et M. Spuller, ont tenu sans doute à mettre au clair les idées de leurs amis, et à tracer une sorte de programme ou de bilan de la situation telle qu’ils la comprennent. L’un et l’autre ont mis assurément dans leurs paroles beaucoup de bonne volonté, — sans ménager les flatteries aux fractions parlementaires qu’ils représentent. M. Devès s’est fait un plaisir de constater que « la majorité républicaine, considérée d’ensemble, évolue visiblement, à travers quelques indécisions, dans le sens nettement marqué d’une politique gouvernementale… » Il a parlé aussi avec chaleur de « cette stabilité si utile à l’affermissement de nos institutions, et sans laquelle, de chute en chute, on risquerait d’aboutir, par le désarroi de l’administration, à l’impuissance du gouvernement lui-même. » Voilà qui est certes on ne peut plus rassurant ! M. Spuller, à son tour, n’a pas voulu se montrer moins « gouvernemental »; il a proclamé les bienfaits « de l’ordre et de la paix. » Il a fait à ses amis le compliment qu’ils étaient a le grand parti national de liberté dans l’ordre et de conservation par le progrès. « Il n’a pas craint d’avouer, lui aussi, que le gouvernement républicain avait surtout un impérieux besoin de stabilité. « Nous devons donner avant tout satisfaction à ce besoin du pays, a-t-il dit, et subordonner tout à cette nécessité qui est tout à fait de premier ordre.» L’un et l’autre, M. Spuller et M. Devès, ont promis d’ailleurs un certain genre d’appui au ministère. Tout cela est fort bien. Qu’en faut-il conclure sérieusement? Le fait est qu’on n’en peut rien conclure, que la ressemblance de langage est dénuée de toute signification pratique, même au point de vue de la cohésion de la majorité dont les deux fractions représentées par M. Devès et par M. Spuller forment les plus gros contingens.

Comment la gauche et l’union républicaine entendent-elles soutenir ce ministère qu’elles encouragent provisoirement de leur approbation et de leurs sympathies ? Oh ! cela est bien simple. Elles soutiendront le ministère, comme les esprits faits pour l’opposition soutiennent un cabinet, « avec liberté,» sans « docilité aveugle, » sans craindre au besoin de le contredire, de lui dérober toute initiative ou de lui imposer ce qu’il ne voudrait pas accepter, ce qu’il considérerait comme dangereux. Le genre d’appui qu’elles promettent au ministère ressemble tout à fait à celui du garde national indépendant prêt à se servir de ses armes pour défendre les institutions et au besoin pour les combattre. Avec cela on perpétue les situations précaires, l’instabilité ministérielle, on