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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/316

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compagnies ouvrières, et ce avec des conditions de garantie pour la société et pour les cultivateurs analogues à celles nécessaires pour les mines et les chemins de fer. » Remarquez combien ce langage diffère de celui des révolutionnaires de la tradition jacobine. On sent ici l’influence de l’école positiviste, qui se pique de prêcher le respect des lois naturelles. Ce n’est pas la révolution, mais « l’évolution » qui amènera la société au « collectivisme. » Ce ne seront pas les décrets d’une convention, mais « les nécessités sociales » qui opéreront la transformation. Le congrès y met d’ailleurs une certaine réserve imposée par le doute scientifique : il n’affirme pas, « il pense » que c’est ainsi que les choses se passeront. Les déclarations du congrès, quoique réduites ainsi à une opinion, ne furent pas votées sans une vive opposition.

M. Tolain défendit la propriété individuelle avec insistance, au risque de passer pour réactionnaire. L’idée de « l’entrée du sol arable à la propriété collective » avait été facilement accueillie par beaucoup d’ouvriers anglais, sous le nom de « nationalisation de la terre. » Un petit nombre de familles aristocratiques possédant presque toute l’étendue des îles Britanniques, en attribuer la propriété à l’état leur semble une mesure qui n’offrirait pas de difficultés insurmontables et qui, en apparence, aurait quelques rapports avec la confiscation des biens des émigrés et du clergé en 1793. Dans la dernière lettre que j’aie reçue de Stuart Mill, il m’expliquait que les classes laborieuses en Angleterre étaient hostiles à la petite propriété qu’il préconisait avec son ami Thornton, parce que plus il y aurait de propriétaires, plus toute expropriation rencontrerait de résistances. M. Tolain, représentant la France, où il y a plus de cinq millions de petits propriétaires, comprenait bien que le collectivisme appliqué au sol arable rencontrerait une formidable résistance. En outre, il soutenait qu’il fallait respecter avant tout l’individualité. Il n’entendait pas qu’elle fût sacrifiée à l’idole de la communauté, le perfectionnement de l’individu étant le but suprême. On retrouve ici le courant des idées de Proudhon en opposition avec le courant des idées communistes. Sa haine vigoureuse de l’état, ses éloquentes tirades en faveur de l’anarchie, c’est-à-dire de l’abdication de l’état comme le veulent les économistes orthodoxes, ont laissé une trace profonde dans l’esprit des classes laborieuses.

Les anciens socialistes, comme M. Louis Blanc et « les socialistes de la chaire, » aujourd’hui, invoquent sans cesse l’action de l’état. Les internationaux évitent même de prononcer ce mot. Ils parlent de la collectivité, de la commune, d’associations ouvrières, de décentralisation, et leur idéal semble être une fédération de sociétés coopératives autonomes. Si tant est que l’incohérence et l’ignorance personnifiées dans la commune de 1871 aient pu exprimer une idée, on peut