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pas encore de sociétés de résistance, de secours mutuels ou de caisses d’assurance pour le chômage, de créer ces institutions, puis de les solidariser entre elles dans toutes les professions et dans tous les pays ; en un mot, il faut continuer dans ce sens l’œuvre entreprise par l’Internationale et s’efforcer de faire entrer le prolétariat en masse dans cette association ; — il y a lieu aussi de nommer, dans la fédération des groupes de résistance de chaque localité, une commission formée de délégués des divers groupes pour juger de l’opportunité et de la légitimité des grèves éventuelles. » On le voit, c’est tout un plan de campagne. L’association ne veut pas que des grèves soient entreprises à la légère, d’abord parce qu’elle est tenue de leur venir en aide, ce qui lui est souvent impossible; en second lieu, parce que, si elles échouent, son prestige se trouve gravement atteint. Mais ce conseil d’arbitres qu’on a voulu constituer ne semble pas avoir jamais fonctionné régulièrement.

C’est au congrès de Bruxelles qu’on voit s’opérer la transformation de l’Internationale. Au début, elle ne devait être qu’une vaste société de résistance pour maintenir ou élever le taux des salaires, une sorte de trade-union universelle. Maintenant elle rêve de. transformer complètement la société en supprimant le salariat, « cette forme nouvelle de l’esclavage. » Comment y parvenir? En attribuant tous les instrumens de travail à la collectivité. Ceci est la doctrine nouvelle, « le collectivisme. » Le communisme était discrédité. L’impitoyable critique de Proudhon l’avait rendu absolument impopulaire. Au congrès de Lausanne, on avait déjà décidé que les chemins de fer devaient appartenir à l’état. A Bruxelles, le même principe est appliqué aux mines et carrières, aux forêts et même au sol arable. Voici les motifs de cette dernière résolution : « Considérant que les nécessités de la production et l’application des connaissances agronomiques réclament une culture faite en grand et avec ensemble, exigent l’introduction des machines et l’organisation de la force collective dans l’agriculture et que d’ailleurs l’évolution économique elle-même tend à ramener la culture en grand, — que dès lors la propriété du sol et le travail agricole doivent être traités sur le même pied que le travail minier et la propriété du sous-sol, — que, du reste, le fonds productif du sol est la matière première de tous les produits, la source primitive de toutes les richesses, sans être lui-même produit du travail d’aucun particulier, — que l’aliénation à quelques-uns de cette matière première indispensable rend la société entière tributaire de ceux à qui elle est aliénée, le congrès pense que l’évolution économique fera de l’entrée du sol arable à la propriété collective une nécessité sociale et que le sol sera concédé aux compagnies agricoles comme les mines aux compagnies minières, les chemins de fer aux