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de l’industrie, usines, bâtimens, machines, fonds de roulement. Dans les discours, on répète fréquemment que l’ouvrier doit être propriétaire de l’instrument de travail; mais comment, par suite de quels arrangemens et de quelle organisation industrielle, c’est ce dont on ne semble pas s’inquiéter. M. Tolain parla en faveur de la propriété individuelle. Votre collectivité, dit-il, est un être abstrait, c’est l’inconnu, et cependant vous prétendez nous l’imposer. Il n’y a de réel que l’individu, et tout ce qui est contraire à son libre développement est mauvais. Dans tout homme, nous trouvons le désir d’être son propre roi et de jouir de son indépendance. En attribuant au droit de posséder tous les maux de l’humanité, vous prenez l’effet pour la cause. Pour l’exploitation la collectivité aura-t-elle plus d’intelligence que l’individu? N’est-ce point par l’initiative individuelle que tous les progrès se sont accomplis? M. Tolain n’était que mutuelliste et non collectiviste. — Un autre Français, un ancien disciple de Proudhon, Langlois, délégué des tourneurs en métaux, tout en réclamant la rente pour l’état, prononça quelques paroles prophétiques. « Le socialisme se perdra, en s’aliénant tous les habitans des campagnes, si on maintient les décisions prises à Bruxelles en dehors d’eux et sans les consulter. Nous verrons encore, comme en 1848, les paysans se lever en masse contre les ouvriers des villes et rendre illusoire le triomphe de la révolution. Si vous étiez les maîtres, seriez-vous prêts à faire œuvre viable? L’état propriétaire collectif du sol, c’est l’état faisant travailler de force, enrégimentant les ouvriers par escouades, sous la conduite d’ingénieurs, de contre-maîtres, instituant une hiérarchie du travail imposé. Ce résultat est-il si enviable qu’il y faille sacrifier la liberté ? »

Un délégué de Bruxelles, César de Paepe, avait fait au sujet de cette question un long rapport qui indique une sérieuse étude des faits et des théories économiques. Nous pouvons voir ainsi en quoi le collectivisme diffère du communisme. Dans le système collectiviste, ce n’est pas l’état ou la commune qui exploite; l’état conserve le domaine éminent, mais il abandonne la direction du travail à des sociétés coopératives sous certaines conditions : paiement d’un fermage, garantie de bon entretien, règlemens équitables. Ainsi, pour les chemins de fer, quand l’état est à la fois propriétaire et exploitant, comme en Belgique, c’est un cas de communisme; quand il concède l’exploitation de sa propriété, comme veut le faire l’Italie, c’est du collectivisme. Pour la rémunération du travail, le communisme veut l’égalité, ou même l’application de la maxime : « chacun suivant ses besoins, tandis que le collectivisme prétend assurer à chacun la jouissance intégrale du produit de son travail. Ainsi le véritable et, au fond, l’unique ressort de l’activité économique, l’intérêt personnel, que le premier système supprime complètement,