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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/336

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tarde pas à s’engager au sujet de l’état et du rôle à jouer par les ouvriers dans les questions politiques. Liebknecht, député au Reichstag allemand, et César de Paepe soutiennent que les fonctions de l’état doivent être étendues; qu’il doit devenir propriétaire des instrumens de travail, et qu’en attendant, les ouvriers ont intérêt à prendre part aux luttes politiques et à obtenir des améliorations successives. James Guillaume, le fondateur de la Fédération du Jura, défend la thèse des « autonomistes. » Le capital et le fonds productif doivent appartenir aux sociétés ouvrières, c’est-ci-dire aux corps de métiers. Cet idéal ne peut être atteint que par la révolution. Les ouvriers n’ont rien à attendre des partis politiques, même les plus radicaux, qui ont toujours trompé et exploité le peuple. Le régime parlementaire et le suffrage universel sont un leurre. Quant aux améliorations de détail, elles ne sont qu’un danger. En donnant une certaine satisfaction au peuple, elles amortissent les sentimens révolutionnaires. — De Paepe répondit en reproduisant une pensée profonde, admirablement exprimée par Tocqueville, dans le XVIIe chapitre de l’Ancien Régime : « Quand le peuple est écrasé par la misère, il se résigne. C’est quand il se redresse et qu’il regarde au-dessus de lui qu’il est porté à s’insurger. » — Au vote, les anarchistes se trouvèrent en minorité. Ils déclarèrent alors que les principes des deux écoles étaient trop opposés pour qu’on pût agir en commun, et la scission fut définitivement consommée. Le principe anarchique avait accompli son œuvre de dissolution. La seconde Internationale disparut comme celle de Marx. Le mot est encore souvent employé pour désigner certains groupes du socialisme militant, mais il n’existe plus aujourd’hui aucune association universelle à laquelle cette désignation puisse s’appliquer. Cependant le spectre survit et continue à agir comme s’il avait encore quelque réalité. Il est vrai que l’Internationale n’a jamais été qu’une ombre, c’est-à-dire une idée qui n’a pu prendre corps.

Résumons cette esquisse de la grandeur et de la décadence de l’Internationale. Comme l’a dit un de ses chefs, Eccarius, elle est née de la conjonction de deux tendances : celle des trade-unions d’Angleterre, poursuivant l’accroissement des salaires par la coalition et la grève sur le terrain économique actuel, et celle du socialisme français et allemand visant à changer radicalement les bases actuelles de l’ordre social. La première de ces tendances a dominé jusqu’en 1869. Depuis lors et surtout après la chute de la commune, l’élément révolutionnaire l’a emporté complètement. Ce qui a fait le succès rapide et en apparence si effrayant de l’Internationale, c’est qu’elle répondait à ce sentiment da mécontentement et de révolte qui s’est répandu peu à peu dans la classe ouvrière de tous les pays civilisés. Les mêmes irritations, les mêmes aspirations