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sans difficulté à leur isolement ceux qui s’occupent moins de capter ses bonnes grâces que de satisfaire leur conscience. Il prend bien vite au mot quiconque, suivant la parole antique, prétend avant tout « chanter pour les muses», et, sauf à s’accommoder parfois d’assez fâcheux concerts, il n’a coutume d’écouter que ce qu’on le force à peu près d’entendre.

C’est là ce qui explique l’indifférence, l’injustice, si l’on veut, de la plupart d’entre nous à l’égard de Hesse ; c’est là aussi ce qui peut jusqu’à un certain point l’excuser. On s’est déshabitué plutôt qu’on ne s’est détourné du peintre et de ses œuvres, et cela parce qu’il semblait lui-même n’avoir rien tant à cœur que de se dérober. En dehors du monde des artistes, on avait fini presque par l’oublier, non certes qu’il ne travaillât plus ou que ses travaux eussent cessé d’être remarquables, mais parce qu’il s’abstenait de participer aux expositions publiques, et que son intraitable esprit de réserve l’empêchait, après l’achèvement de chaque ouvrage, d’en avertir personne, hormis celui à qui cet ouvrage était destiné. Que de portraits et de tableaux ont passé ainsi presque en secret de son atelier dans des collections particulières! Et quant aux peintures monumentales qu’il a exécutées dans plusieurs églises de Paris et qu’il ne pouvait par conséquent soustraire aux regards de la foule, le risque n’était pas grand pour lui de se trouver par là en communication trop directe avec elle. D’ordinaire, la foule se préoccupe assez peu de pareils travaux et de ceux qui les font. Ce qu’elle voit chaque année au palais des Champs-Elysées représente à ses yeux toutes les forces vives, toute l’activité de l’école contemporaine. Quelqu’un des peintres dont elle a admiré les toiles au Salon vient-il à faire plus noblement encore ses preuves sur les murs d’un édifice : il peut arriver, il est vrai, qu’elle l’apprenne et que même parfois elle ne refuse pas de lui en savoir gré; mais alors le succès, si légitime qu’il soit, a sa raison d’être principale dans celui qui aura été obtenu ailleurs et à meilleur marché. Tel portrait d’Hippolyte Flandrin, la Jeune fille à l’œillet, par exemple, n’a-t-il pas plus contribué à la célébrité de l’artiste, ne l’a-t-il pas au moins mieux préparée qu’aucune des peintures murales signées du même nom? Les peintures dont le pinceau d’Alexandre Hesse a, dans le cours des vingt dernières années, décoré les chapelles de nos églises ne se recommandaient pas à l’attention par quelque précédent semblable. Elles n’avaient pour elles que leur mérite même; elles avaient contre elles, au point de vue de la publicité, la place qu’elles occupaient et les habitudes qui nous entraînent à ne juger de l’art contemporain que sur ce qu’on nous en montre aux expositions officielles.