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Est-ce une raison toutefois pour la critique d’imiter ces coutumes et, surtout à l’heure où un artiste commence d’appartenir à la postérité, de ne pas relever les titres qu’il a pu s’acquérir en dehors du champ ordinaire des luttes, loin du bruit fait autour d’autres noms? Et quand, chez cet artiste qui n’est plus, le caractère s’est montré à la hauteur du talent, quand la dignité de la vie a, comme ici, égalé la dignité des œuvres, c’est bien le moins que ceux qui ont été informés essaient à leur tour de renseigner ceux qui ignorent ou d’inviter à se souvenir ceux qui oublient. Nous voudrions remplir cette tâche ou plutôt nous acquitter de ce devoir en appelant sur les travaux d’Alexandre Hesse l’attention qu’ils méritent. Et qui sait? l’estime où on les tiendrait dès à présent ne ferait peut-être que devancer le jugement de l’avenir; peut-être ces œuvres d’un talent sans fracas, mais non sans force, ces œuvres foncièrement solides recommanderont-elles l’art de notre époque auprès de nos successeurs plus sûrement que bon nombre de celles auxquelles nous aurons accordé avec le plus de bruit nos suffrages. Un retour de l’opinion en ceci pourrait donc bien, au moment où nous sommes, être un acte de prévoyance aussi bien qu’un acte de justice.


I.

Lorsque les Funérailles de Titien parurent au Salon de 1833, Alexandre Hesse n’était âgé que de vingt-six ans. Comment s’était-il préparé à ce brillant début? D’où lui venaient cette science déjà profonde, cette expérience de l’art déjà complète? car, — particularité remarquable dans l’œuvre d’un aussi jeune homme, — rien ici ne trahissait une incertitude quelconque de l’esprit ou de la main. Tout, au contraire, annonçait un talent fait, maître de lui, réservé jusque dans la verve, et d’autant moins tenté de donner quelque chose au hasard qu’il se sentait au fond plus sûr de ses propres forces. C’est qu’en effet le jeune peintre était de ceux pour qui la saison de la maturité est précoce. A l’âge où d’autres en sont encore à s’interroger sur leurs tendances, il savait à n’en pas douter ce qu’il avait le droit de vouloir, et le pouvoir de faire. Il avait en un mot reconnu de bonne heure le domaine où il lui appartiendrait d’agir, et ne se sentait pas plus d’humeur à en forcer jamais les limites qu’à s’y cantonner paresseusement.

D’ailleurs, en cela comme en toutes choses, Hesse avait dès l’enfance trouvé bien près de lui d’utiles leçons. Le milieu où il était né avait eu sur lui cette double influence de l’initier par des exemples