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le champ de ses études, Hesse, au bout de quelques années de travail solitaire, en était arrivé à posséder un savoir classique à peu près égal à celui qu’aurait pu lui donner le collège, et, de plus, tout en menant de front son éducation littéraire et son éducation de peintre, il avait trouvé le temps de devenir par surcroit musicien. Ici toutefois la bonne volonté personnelle n’avait pu suffire. Ce maître dont Hesse s’était si résolument passé tant qu’il ne s’était agi pour lui que d’exercer son intelligence et sa mémoire dans le domaine de l’érudition proprement dite, il avait bien fallu qu’il intervînt entre l’étudiant et le nouvel objet des études, et que le jeune peintre apprît auprès d’un homme du métier la musique, comme il avait appris la peinture en recevant les enseignemens d’autrui. Or comment, sans des dépenses reconnues d’avance impossibles, mener les choses à bonne fin? Hesse s’y prit pour cela de la même manière que lorsqu’il avait eu à pourvoir à d’autres besoins. Afin de conquérir la situation d’élève, il s’utilisa comme professeur, c’est-à-dire qu’il obtint de payer les leçons de musique qu’on lui donnerait par les leçons de dessin qu’il donnerait à son tour. Ce fut grâce à cet arrangement qu’il put, pendant plusieurs années, avoir pour maître le célèbre chanteur Garcia et pour élève un des enfans de celui-ci, une jeune fille dont il était à peine l’aîné et qui devait, un peu plus tard, s’appeler Mme Malibran. Y eut-il profit égal de part et d’autre? Je l’ignore. Toujours est-il qu’à l’école de Garcia Hesse ne devint pas seulement un chanteur habile. Ses dispositions naturelles aidant, il y acquit une science musicale assez vaste et assez sûre pour être et pour rester jusqu’à la fin un amateur d’élite, un connaisseur dans la plus rigoureuse acception du mot.

Au moment où il partit pour l’Italie, Hesse avait donc à tous égards son éducation faite ou, tout au moins, des habitudes de travail plus invétérées déjà, des pratiques studieuses mieux raisonnées qu’il n’appartient en général aux jeunes artistes. Restait maintenant, comme enseignement suprême, à consulter en face les chefs-d’œuvre entrevus seulement jusqu’alors dans les traductions gravées, à interroger la nature aux lieux mêmes où elle avait inspiré les maîtres, et, ces dernières informations une fois prises, cette épreuve définitive une fois tentée, à s’essayer dans une œuvre personnelle. Celle que Hesse fit paraître après son retour à Paris prouve qu’il avait aussi bien profité des exemples proposés à ses regards en Italie que de ces leçons plus mystérieuses qui s’adressaient à son imagination. Son tableau, les Funérailles de Titien, accuse clairement la prédominance des souvenirs recueillis et de l’influence subie par ce disciple au XIXe siècle des peintres vénitiens