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roi à Varennes, de prouver qu’ils avaient des attaches dans le royaume, des points d’appui en Lorraine et en Alsace. Le prince de Condé, campé à Worms, songea à faire de Strasbourg ce qu’il avait rêvé de faire de Lyon lorsqu’il résidait à Turin.


II.

Strasbourg, vieille ville municipale, très fière de ses libertés garanties par les capitulations impériales et les concessions de Louis XIV, avait adopté avec enthousiasme les idées de la révolution. Réunie à la France depuis cent ans à peine, capitale d’une province catholique et féodale, elle devint vite un foyer d’intrigues et d’agitations, où les protestans, les juifs, et ce qu’on appelait la horde d’outre-Rhin essayèrent de se saisir d’une influence qui, échappant à la noblesse et au clergé, semblait devoir tomber aux mains des plus audacieux ou des plus prompts. On n’a pas encore étudié dans ses origines et dans ses manifestations le mouvement fédéraliste qui se dessina en France, de 1790 à 1796, et qui pour certaines provinces, dans le Midi, à Lyon, dans l’Est à Strasbourg, fut près de devenir un mouvement séparatiste. En ce qui touche l’Alsace, les écrits du temps[1] et spécialement le pamphlet intitulé : Réponse d’un bourgeois franco-alsacien aux prétentions et protestations des provinces d’empire, etc.[2], ne laissent aucun doute sur des menées pratiquées de longue date par les gouvernemens allemands, menées auxquelles la révolution avec son principe de centralisation et de nivellement fournissait des argumens et des adhérens, et dont le voisinage des émigrés devait échauffer l’ardeur. Dès 1789, on indisposait l’opinion publique, à Paris, contre les Strasbourgeois, en les représentant comme obstinés dans leur prétention de constituer, malgré l’abolition des privilèges, un îlot municipal inaccessible. En 1790, on accusait la ville d’être royaliste, fanatique et feuillante ; en 1791, on y joignit le crime de fédéralisme[3].

Conquête récente de la monarchie, Strasbourg semblait devoir disparaître avec elle de l’unité française. Sa position géographique, son caractère mixte, les opinions confuses et contradictoires de ses habitans, la désignaient aux ambitieux comme un théâtre fait à souhait pour les compétitions les plus hasardeuses. Certaines particularités

  1. Courrier politique et littéraire des deux nations, publié en 1790. — Courrier de Strasbourg, consacré spécialement aux nouvelles des frontières, des pays étrangers et particulièrement des deux rives du Rhin (1792, etc.) — Réflexions sur les affaires du temps (Strasbourg, 10 mai 1791).
  2. In-4° publié à Strasbourg, le 1er décembre 1789.
  3. Seinguerlet, Strasbourg pendant la révolution, 1879.