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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/417

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ponts, ni tenter l’escalade, ni l’enlever de vive force, on la réduira par la famine.

Aussitôt la ville prise, on fait le triage des catholiques suspects, on met à part tous les protestans, les administrateurs républicains, les membres des clubs, tous les individus réputés dangereux ou hostiles; on les expulse. Les chefs des catholiques, dans chaque paroisse, chargés spécialement, sous leur responsabilité, de cette importante épuration, s’assurent, dès la première heure, de M. de Valence, du prince de Broglie et des chefs révolutionnaires les plus connus.

Le cri de ralliement est : Vivent le roi et les princes! Le signal sera donné, pour l’attaque générale, par le commandant du 2e bataillon de Royal-Liégeois prenant position devant les casernes de l’artillerie.

Les ordres particuliers, datés du 28 décembre, sont encore attachés à l’ordre général de marche. L’aide de camp du prince de Condé, M. de Thessonnet, entré dans la ville au péril de sa vie et qui joua sa tête à chaque instant, pendant deux mois, dans cette entreprise aussi hardie que délicate, a pour mission de parler aux soldats et de les enlever au nom des princes. M. de Courtivron, colonel des carabiniers, prend le commandement. Il est responsable de l’opération et de ses suites. M. de Vildermoth, colonel du régiment de Salm-Salm, dont les hommes sont moins sûrs, ne doit pas les engager dans l’attaque des casernes; il servira de réserve, dissipera les attroupemens, fera la police des rues et des portes. Le marquis de Pallavicini et M. de Saint-Pol ont pour objectif l’arsenal, le parc d’artillerie, les poudres. M. de Vioménil, posté au pont de Kehl avec un escadron de gentilshommes, attend avec impatience le signal qui, en pleine nuit d’hiver, lui doit annoncer la prise d’armes. Des relais sont échelonnés de Kehl à Worms : tandis que Vioménil se jettera dans la ville, des courriers bien montés iront à toute bride hâter l’arrivée du prince de Condé et de la légion noire; des émissaires gagneront les villages de la plaine, des feux avertiront les paroisses de la montagne, et les paysans catholiques d’Alsace, avertis par le canon et la flamme, déboucheront en armes de toutes les vallées des Vosges.

Pendant douze jours et douze nuits, M. de Vioménil attendit, l’œil et l’oreille au guet. Rien ne parut. Cet intervalle du 28 décembre au 10 janvier se passa en entrevues, en pourparlers, en hésitations. Les chefs de corps, fort perplexes, entraînés par leurs sentimens royalistes, retenus par leur instinct patriotique, n’osaient se décider à livrer Strasbourg; la réserve des princes leur paraissait excessive, ils ne s’expliquaient la prudence de Condé que par la crainte d’un désaveu; la présence du comte d’Artois les eût