Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensemble, et pour lequel nous vous avons donné un pouvoir signé de nous.


Le 13 janvier, M. de Vioménil écrivait encore, de Kehl, à M. de Thessonnet, caché dans une méchante auberge de la paroisse Saint-Etienne, à Strasbourg, où il avait de secrètes conférences avec les chefs de corps royalistes :


Je ne puis concevoir, mon cher Thessonnet, quels peuvent être les motifs qui causent autant de variations et d’incertitudes sur l’exécution du projet important qui nous intéresse et qui a été unanimement adopté par MM. les chefs des corps. Persuadez-leur donc que ce plan bien combiné, comme il l’est déjà entre eux et les catholiques fidèles royalistes, qui seront au nombre de dix mille, assurera indubitablement, et sans aucune effusion de sang, le succès d’une opération qui les immortalisera à jamais; que le rétablissement des autels, celui du souverain légitime sur son trône, et le salut de la patrie leur seront dus ; dites-leur aussi que leurs altesses royales, toute la noblesse, ainsi que tous les bons Français, ont les yeux ouverts sur la conduite qu’ils vont tenir. Répétez-leur encore que personne n’ignore qu’ils ont beaucoup plus de moyens qu’il ne leur en faut pour remplir victorieusement les vues des princes sur cet objet; dites-leur enfin, mon cher Thessonnet, que s’ils laissaient échapper une occasion aussi majeure et qui est autant en leur pouvoir, ils en seraient responsables vis-à-vis de l’Europe entière, qui est essentiellement intéressée à la même cause. Je me bornerai à cette dernière réflexion, toutes celles qu’on pourrait y ajouter seront sans doute faites par ces messieurs qui y sont d’ailleurs formellement engagés par leur parole d’honneur la plus sacrée. Je m’en rapporte donc entièrement, avec la plus grande confiance, à ce qu’elle doit leur prescrire, et je me plais d’avance à me convaincre qu’ils ne perdront pas un instant pour justifier la bonne opinion qu’ils ont inspirée à leurs altesses royales sur leur dévoûment sans bornes à l’auguste et honorable cause pour laquelle tous les vrais Français doivent sacrifier jusqu’à la dernière goutte de leur sang.


Ces vives instances, cet appel aux sentimens d’honneur et de loyauté des officiers ne réussirent pas à les décider. Nous disions tout à l’heure quel doute avait germé dans leurs âmes et par quelle intuition de leurs véritables devoirs ils hésitaient à tenir la parole donnée dans une heure de chevaleresque entraînement. Ils sentaient qu’en agissant ainsi ils risquaient tout, leur vie, leur réputation, beaucoup plus sûrement qu’en arborant la cocarde blanche. Accablés d’ignominie par les émigrés, accusés de trahison par les clubs, leur destinée était de disparaître entre les deux partis extrêmes, également flétris par chacun d’eux ; mais cette douloureuse certitude