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coup battus en brèche, du côté où ils devaient le moins s’y attendre, par la diplomatie autrichienne. Les espions épars en Alsace avaient flairé le complot. Les Allemands, assurés de l’imminence de la guerre, convaincus qu’il leur suffirait d’envahir l’Alsace pour être maîtres de cette province si convoitée par eux, comprirent qu’il fallait à tout prix éloigner Condé de la frontière et l’empêcher de planter son drapeau sur terre française. Le rêve des émigrés sages avait toujours été de rentrer en France libres, sans attaches douteuses, les armées étrangères leur servant simplement de soutien, d’appui moral, de réserve, au pis-aller; la coalition au contraire entendait exploiter la situation à son profit et faire des Français fugitifs des complices et non pas des alliés. Le succès d’un complot royaliste eût déjoué les plans des cabinets de Vienne et de Berlin ; tout fut mis en œuvre pour défranciser l’Alsace, selon le mot du Prussien Klauer.

Les partisans de l’Allemagne à Strasbourg ne cessent d’y jeter le désordre dans les esprits et dans l’administration. Sous leurs efforts, le club du Miroir, où Diétrich avait jusque-là réussi à maintenir associées toutes les nuances d’opinion, se divise; le parti allemand se constitue en club des Jacobins, dénonce Diétrich, exige l’expulsion des modérés et l’arrestation des suspects. La suppression de Diétrich les délivrait d’un adversaire clairvoyant et intègre; le renvoi des chefs de corps anéantissait pour les émigrés les combinaisons de surprise ; la dislocation des régimens de ligne et leur remplacement intégral par des bataillons de volontaires, à peine formés, livraient la place. Pour laisser le champ libre à l’armée allemande, il ne restait plus qu’à écarter la légion noire des bords du Rhin : on y procéda sans ménagemens.

Le 3 février 1792, le prince de Condé reçut avis à Oberkirch de l’arrivée d’un commissaire extraordinaire du duc de Wurtemberg. Il convoqua aussitôt tous ses chefs de corps et les invita à prendre part au conseil de guerre qui se tiendrait le lendemain, à son quartier-général; M. de Vîoménil, dont les lumières, la sagacité, la clairvoyance étaient appréciées de tous, y fut naturellement appelé ; prévenu à temps, il s’y rendit. On pensait qu’il s’agissait de la discussion d’un plan d’attaque, à la veille d’une entrée en campagne que l’on disait prochaine, et du règlement définitif de la situation de l’armée de Condé, situation toujours très fausse et très précaire au triple point de vue de la liberté des mouvemens, du tarif de la solde et de la régularité des approvisionnemens. La surprise devait être extrême, et la colère des gentilshommes émigrés fut égale à leur désappointement. Ils avaient bien des motifs déjà de se défier des Allemands; mais la communication du 4 février 1792 fut le coup suprême porté à leurs illusions.