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à tout un ensemble de conditions, de droits, de privilèges inhérens à la personnalité civile, de vœux reconnus et consacrés par la loi : elle n’interdisait pas la vie en commun, l’agrégation volontaire. Elle se bornait à substituer la liberté à la vieille organisation monastique, elle ne donne aucune arme de répression. La loi du 18 août 1792 n’a pas même la valeur d’une loi, elle ne devrait pas être invoquée. C’est un acte dénué de tout caractère régulier, accompli à un moment où la royauté était prisonnière et où la république n’existait pas encore, où la constitution avait disparu, où il n’y avait plus rien de légal : c’est l’acte d’une époque où un prêtre, vêtu publiquement du costume ecclésiastique, pouvait être de ce seul fait poursuivi « pour délit contre la sûreté générale, » — etoù l’on était enfin à la veille des massacres de septembre ! Cette loi, M. Jules Simon n’a eu qu’à la citer pour la rejeter dans son passé de sanglant arbitraire. Le décret de messidor an xii est certainement, avec quelques autres, une arme commode de répression laissée par l’empire aux gouvernemens qui se piquent de libéralisme. Il existe, il n’est pas abrogé régulièrement ; mais après tout, même dans ce décret de messidor, il n’y a pas trace de bannissement et d’expulsion, et la seule sanction est la « poursuite à l’extraordinaire, » c’est-à-dire l’exécution administrative, — c’est-à-dire l’envoi dans une prison d’état. Les articles 291 et 292 du code pénal sur les associations ! M. le procureur général Bertauld, qui est un terrible légiste, qui a eu le premier le triste honneur de prononcer le mot de « suspects » à propos de quelques religieux qu’on n’aime pas, M. le procureur général Bertauld a reconnu lui-même qu’on ne pourrait se servir de ces articles pour exécuter ou dissoudre les congrégations manu militari. Les ordonnances de la restauration ne donnent aucun moyen précis et direct : elles ont trait à une situation différente. Tout cela en définitive, c’est l’obscurité, la contradiction, la confusion de textes oubliés, surannés, où les juristes les plus perspicaces, les plus subtils ont de la peine à se reconnaître.

Chose curieuse ! dans toutes ces vieilles lois, dans toutes ces traditions qui se perpétuent à travers les régimes les plus divers et souvent les plus contraires, à travers les révolutions et les bouleversemens, ce qu’on va toujours chercher, c’est ce qui sert à l’arbitraire, ce n’est jamais ce qui est favorable à la liberté. On tire du vieil arsenal le décret de messidor an xii, on passe volontiers sous silence la constitution de 1848 ; on cite les légistes qui ont des plaidoyers pour toutes les restrictions, on désavoue presque comme de généreux utopistes les libéraux qui déjà, sous la restauration, justement en face des ordonnances de 1828 relatives aux jésuites, défendaient avec éclat la liberté d’enseigner. On se rattache aux édits, aux décrets, aux ordonnances d’autrefois ; on oublie qu’avec le temps tout a changé, qu’il y a eu d’incessans progrès d’idées et de mœurs, que nous n’en sommes plus ni à l’ancienne monarchie