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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/743

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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

l’exécution des conventions entre particuliers que le prix de la course assuré au créancier le plus agile et le plus intraitable. Ou bien la constitution d’un gage deviendra l’accompagnement obligé de tout contrat, ce qui sera étouffer dans son germe la force d’action et l’élasticité que le crédit procure à la fortune publique et privée dans toute société bien organisée ; ou bien le débiteur, auquel le juge n’a même plus le pouvoir d’accorder aucun délai pour acquitter sa dette, cherchera le plus vite possible son refuge dans sa mise en faillite, rendue par le législateur aussi séduisante que possible, comme je le montrerai tout à l’heure et qui est devenue accessible même aux non-commerçans. C’est au point que le Landesausschuss, qui en cela a vu certainement trop en noir, a exprimé la crainte qu’en Alsace-Lorraine les greffiers de justice de paix ne pussent plus suffire à l’énorme besogne de l’apposition des scellés et qu’il a proposé d’y employer aussi les huissiers, privés tout à la fois par la concurrence que va leur faire la poste impériale d’occupations et de ressources.

Telles sont quelques-unes des principales innovations que les lois judiciaires allemandes viennent d’introduire en Alsace-Lorraine. Je n’en finirais pas si je tentais d’énumérer toutes les objections que soulève en foule cette législation, qui semble avoir pris à tâche de ressusciter des vieilleries si bien oubliées qu’on a perdu jusqu’au souvenir des inconvéniens et des vices qui, sauf peut-être dans quelques cantons de l’Allemagne, les avaient fait universellement abandonner. Oh ! les intentions des auteurs de cette scrupuleuse restauration d’après l’antique étaient assurément excellentes, mais il semble qu’ils aient trop identifié dans leur esprit l’Allemand de nos jours avec le vertueux Germain de Tacite. N’est-ce pas, par exemple, se faire de la moralité allemande une idée un peu exagérée que d’espérer que la crainte des peines du faux serment ou de la subornation des témoins suffira toujours pour empêcher les plaideurs d’abuser de l’étrange libéralité avec laquelle la preuve testimoniale est admise ? Semblable illusion avait déjà égaré, en 1871, les rédacteurs du code pénal allemand, si bien qu’on agite aujourd’hui avec le plus grand sérieux la question du rétablissement des peines du fouet et de la bastonnade, comme vrai remède à l’insuffisance croissante des prisons qu’encombre une population de pensionnaires encouragés à la récidive par les misères du temps et par une loi pénale trop bénigne. À cet égard, la nouvelle organisation judiciaire aura du moins d’utiles effets, car elle a prescrit la création d’une prison auprès de chaque tribunal de bailliage, disposition qui a valu à l’Alsace-Lorraine un supplé-