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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/82

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Un autre jour, il envoyait à Mme Necker son propre buste, avec ces vers gravés au bas :


À l’âme la plus pure, au plus sublime cœur
Que ces traits après moi rappellent ma mémoire,
Son amitié fit mon bonheur,
Son souvenir fera ma gloire.


Et Mme Necker lui répondait tout aussitôt :


Les soucis, tu le vois, ne troublent point son cœur,
Il se laisse adorer des filles de Mémoire,
Il donne à ses amis le soin de son bonheur
Et l’univers prend celui de sa gloire.


La gloire de Marmontel ! C’était bien là une de ces expressions enflées dont l’emphase paraissait si risible à Marmontel lui-même. Mais c’était l’amitié qui dictait le langage de Mme Necker, et puisque ce même sentiment n’a pas dicté dans ses Mémoires celui de Marmontel, il était juste que des documens sans réplique vinssent le replacer dans son attitude véritable d’obséquieuse importunité.

L’abbé Morellet, dont la famille besogneuse faisait si fréquemment appel à la protection de M. Necker, avait été avec Marmontel un des premiers habitués du vendredi. Mme Necker l’avait connu avant son mariage, car il fréquentait le petit salon de Mme de Vermenoux, et elle portait sur lui un jugement assez juste et spirituel lorsqu’elle écrivait à Moultou :


L’abbé Morellet vous aura remis une lettre de ma part ; c’est un bel esprit de Paris qui n’est pas même capable de sentir tout le vôtre ; en revanche il a des connoissances, des talents, de la philosophie et de la méthode ; d’ailleurs c’est un ours mal léché qui ne se doute pas qu’il y ait un usage du monde et que cet univers soit composé de grands et de petits, d’hommes et de femmes ; il a de la candeur, de la probité, mille qualités honnêtes et assez de religion pour soupçonner qu’il peut y avoir un Dieu et pour l’avouer quelquefois à ses amis, lorsqu’il les connoît discrets et d’un commerce sûr ; je l’aime cependant et je crois que Dieu lui pardonnera son incrédulité qui ne part pas du cœur.


S’il faut en croire l’abbé Morellet dans ses Mémoires, Mme Necker se serait adressée à lui, en même temps qu’à Marmontel et à l’abbé Raynal, pour « jeter les fondemens de sa société littéraire, » et ce serait lui qui aurait conseillé le choix du vendredi. L’abbé convient que chez Mme Necker on causait agréablement de littérature et qu’elle-même en parlait fort bien, tout en se plaignant que sur d’autres sujets la conversation fût contrainte par la