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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/83

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sévérité de la maîtresse de la maison, « qui souffroit surtout de la liberté des opinions religieuses. » Quant à ses relations avec M. Necker, elles furent d’une nature plus délicate. L’abbé Morellet se trouva en contradiction directe avec lui lorsqu’il attaqua le privilège de la compagnie des Indes que M. Necker s’était chargé de défendre. À tort ou à raison, l’abbé Morellet fut soupçonné de n’avoir pas joué dans cette affaire un rôle tout à fait désintéressé. Grimm l’accuse formellement d’avoir porté sous le manteau de la philosophie la livrée d’un financier, M. Boutin, et Diderot de s’être vendu pour une pension. Aussi M. Necker avait-il vertement relevé les imputations de l’abbé Morellet dans un mémoire en réplique, ce qui n’empêcha pas l’abbé pendant tout le temps que dura la controverse, de venir s’asseoir chaque vendredi à la table de M. Necker, comme si aucun nuage ne se fût élevé entre eux… « et étaient les bonnes âmes singulièrement édifiées, dit Grimm, dans sa Correspondance littéraire de l’âme sans fiel de ce digne ecclésiastique, lequel s’asseyoit une fois par semaine à la table de M. Necker, comme si de rien n’étoit, après en avoir reçu cinquante coups d’étrivières, bien appliqués, au milieu des acclamations du public. »

Le souvenir des cinquante coups d’étrivières, et même une brouille passagère survenue au moment de la discussion que souleva entre M. Necker et Turgot la question du commerce des grains, n’empêchèrent pas l’abbé Morellet de mettre à profit, sinon pour lui, du moins pour sa famille, la protection de M. Necker durant son passage au contrôle général. Aussi était-ce pour l’abbé une tâche assez délicate que de parler dans ses mémoires de toutes ces vicissitudes. Il faut lui rendre cette justice qu’il se tire de la difficulté avec assez de tact et de convenance, tout en s’exprimant sur le compte de M. Necker d’un ton plus cavalier, on va le voir, que celui de ses lettres. Il déclare que les principales doctrines économiques de son ancien contradicteur ne peuvent pas soutenir l’examen, et dans son langage un peu lourd il lui refuse « sur les principes de l’organisation des gouvernemens les connaissances solides et approfondies, qui sont nécessaires pour se guider parmi les écueils. » Mais il est surtout sévère pour le style de M. Necker, « chez lequel on trouve à la vérité des expressions heureuses et de beaux mouvemens, mais où l’on remarque trop souvent de la recherche, des tournures peu naturelles, des incorrections assez choquantes, et surtout une emphase qui fatigue l’esprit. »

L’abbé Morellet n’en jugeait pas toujours ainsi, car voici en quels termes il remerciait Mme Necker de l’envoi de l’ouvrage de son mari sur l’Importance des opinions religieuses :