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attentif et désintéressé, nous avons sous les yeux toutes les pièces officielles ; nous exposerons le plus rapidement possible le résultat de nos observations. On ne sera point étonné de nous voir prendre la question à un point de vue élevé, sans faire jamais mention des personnalités directement intéressées : agir différemment serait entrer dans la vie privée d’un peuple, et si tout le monde reconnaît que l’é motion produite dénote un généreux enthousiasme pour un monument qui appartient à l’humanité tout entière, il n’échappe non plus à personne qu’une discussion trop minutieuse et trop personnelle froisserait à bon droit un peuple fier que le laborieux enfantement de son unité a pu détourner un instant des questions d’esthétique.

Le mémoire rédigé par l’honorable secrétaire de la Société pour la protection des anciens monumens, mémoire qui a déterminé la réponse officielle du gouvernement italien, nous montrera sur quel terrain on a tout d’abord porté la discussion, et on sera frappé du ton d’enthousiasme dans lequel est conçu ce document. Si le premier moteur de la « question Saint-Marc » est un peintre de talent qui a souvent emprunté ses sujets à l’histoire de Venise, M. Henry Wallis, c’est le souffle de l’auteur des Stones of Venice, c’est la forte imagination de John Ruskin qui ont inspiré le mouvement, et c’est certainement un poète, M. William Morris, qui a tenu la plume.

« Nous soussignés, architectes, artistes, hommes de lettres, amis des arts et de l’histoire, ayant appris qu’il est question de reconstruire ou de renouveler la grande façade de Saint-Marc de Venise, nous nous adressons respectueusement à votre Excellence et la prions de vouloir bien examiner le présent mémoire, inspiré par l’intérêt universel qui s’attache à ce monument, centre constant d’attraction pour tout esprit cultivé et amoureux des arts.

« Vous savez certainement que Gentile Bellini, dans un admirable tableau conservé à l’Académie de Venise, a laissé une représentation exacte de cette merveille d’art, telle qu’elle existait à l’origine. Si on rapproche cette œuvre du monument tel qu’il est aujourd’hui, nous voyons que la façade a peu souffert des ravages du temps depuis la fin du XVe siècle ; le seul changement notable consiste dans la substitution des mosaïques relativement modernes aux mosaïques primitives, dont il existe encore un complet spécimen sous le porche, à l’angle nord de la façade. Les délicates moulures et les ciselures sont aussi nettes et vives que si elles dataient d’hier, les marbres rares rassemblés avec tant de soin et de peine sont encore à leur même place, le revêtement précieux des murs ne s’est point détaché et, de fait, la façade tout entière nous est restée, monument incomparable d’étude pour l’histoire, les styles et la pratique de l’architecture.