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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/86

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Il n’était guère commode à Grimm de refuser une invitation aussi gracieuse, surtout si, comme cela paraît résulter de la lettre de Mme Necker, elle lui avait servi d’intermédiaire auprès de son mari dans quelque affaire d’argent. Grimm trouva sans doute dans la société de Mme Necker plus d’agrémens qu’il n’avait supposé, car il ne tarda pas à se départir de sa froideur ; bientôt il va se plaindre d’être logé trop loin d’elle, et de ne pouvoir satisfaire assez aisément le désir constant qu’il aurait de la voir :


D’honneur, lui écrit-il, je ne peux pas vous trouver d’autre tort que celui de loger dans la rue de Cléry et de n’être point établie entre la place Vendôme et le Palais-Royal. Ce tort est impardonnable, madame ; je sens que je vous verrois tous les jours un petit moment, et je sens encore mieux tout ce que je perds à vous voir si peu. Tenez, cela ne convient en aucune façon à une passion pour vous qui ne fait que croître et embellir. Je hais Paris que vous aimez, parce qu’on n’y peut accorder ses devoirs avec les plaisirs de l’âme les plus légitimes, et j’enrage d’être chez moi cloué sur ma chaise, quand je pourrois être chez vous à causer bien doucement au coin du feu.


À partir de cette entrée en relation, le nom de Mme Necker revient souvent dans la correspondance de Grimm. C’est à lui qu’on doit le récit de ce dîner célèbre où dix-sept hommes de lettres réunis autour de la table de Mme Necker proposèrent d’ériger par souscription une statue à Voltaire, épisode bien connu de l’histoire littéraire du XVIIIe siècle, qui devint à la longue pour Mme Necker l’occasion de contrariétés sans nombre à raison de l’entêtement que mit Pigalle à représenter Voltaire presque nu, mais qui lui valut en revanche l’hommage de ces vers un peu lestes du patriarche de Ferney :


Ah ! si jamais de ma façon
De vos attraits on voit l’image,
On sait comment Pygmalion
Traitait autrefois son ouvrage.


Grimm est un homme de trop bonne compagnie pour imiter la sévérité dédaigneuse du langage de Marmontel sur le compte d’une femme chez laquelle il était fréquemment reçu. Cependant il nourrit contre elle un grief : c’est sa prétention à des convictions religieuses dont la solidité lui laissait des doutes. « Hypa-