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n’ai jamais pu saisir le vrai sens de la politique anglaise par rapport à cette longue et malheureuse affaire d’Hérat. Comme l’intérêt de la question grandit chaque jour, et comme vous êtes aujourd’hui l’autorité la mieux reconnue en toutes ces matières, je m’adresse à vos lumières pour avoir les éclaircissemens qu’il m’a été impossible de trouver ailleurs.

Dans cette question d’Hérat, voici d’abord les faits historiques qui se présentent à mon esprit.

Sans remonter aux temps antiques où tout l’Afghanistan était une des provinces centrales de la Perse, en nous reportant seulement au siècle dernier, nous voyons que sous la dynastie des Séfévis et pendant le règne de Nadir-Schah, Hérat et presque tout l’Afghanistan étaient sous tous les rapports aussi persans que n’importe quelle province actuelle de la Perse.

Après le cataclysme qui a suivi le règne de Nadir-Schah, la dynastie actuelle des Chadjars s’est mise à reconstituer la monarchie persane, en reconquérant une à une les différentes provinces qui étaient tombées entre les mains d’aventuriers plus ou moins heureux.

Dans cette œuvre de reconstitution nationale, la pacification du Khorassan a été la partie la plus difficile. Il a fallu y envoyer plusieurs armées et prendre presque toutes ses forteresses par des sièges réguliers. Après la soumission générale de cette vaste province, il y a quarante ans, la seule ville qui gardât encore une certaine velléité d’indépendance, c’était Hérat. La ville était au pouvoir d’un prince afghan; Mohammed-Schah, le père du schah actuel, marcha contre lui, à la tête d’une forte armée. A l’approche du schah, le prince afghan, homme faible et déjà abruti par l’abus du hachich, s’empressa de demander la paix.

On commençait à négocier lorsqu’on vit tout à coup des agens anglais se jeter entre Hérat et l’armée persane, encourageant les assiégés à la résistance et invitant le schah à lever le siège. Cette intervention inattendue de l’Angleterre parut au gouvernement du schah d’autant plus inexplicable que c’était l’Angleterre elle-même qui, au commencement de ce siècle, avait fortement poussé la Perse à entreprendre une expédition contre l’Afghanistan ; mais ce fait historique et mille autres raisons furent en vain invoqués : la résistance de la ville se prolongea, l’Angleterre rompit les relations diplomatiques, déclara la guerre à la Perse, et le schah fut obligé d’abandonner le siège.

L’expédition avait coûté des sacrifices énormes. Le but qu’on y poursuivait était bien autrement important que la satisfaction de reconquérir une ancienne ville de l’empire. Il s’agissait d’une question vitale pour la Perse.

Ce point généralement inconnu demande quelques explications.