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Qu’on y prenne bien garde cependant. Le mal n’est pas sans doute irréparable, il est déjà assez grave. Depuis quelque temps, il se fait de plus en plus une confusion où tous les rôles se déplacent, où l’on ne sait plus trop parfois de quel côté vient la direction. Les modérés ont cessé de compter, c’est entendu. M. Dufaure, M. Jules Simon, sont passés au rang des réactionnaires et des cléricaux, ils sont suspects ! Les violens, les radicaux, ne sont pas sans doute la majorité républicaine tout entière ; mais ils ont la prétention de former une des ailes de l’armée, et, sans être la majorité, ils s’imposent à elle par la hardiesse de leurs déclamations, par les menaces d’interdiction contre ceux qui ne seraient pas disposés aies suivre, à donner des gages suffisans de leur orthodoxie. Ils ne gouvernent pas directement, ils ne sont pas au pouvoir, c’est vrai; ils se font craindre, c’est tout aussi évident, ils ont des demi-victoires, ils pèsent sur les conseils, ils leur arrachent des concessions qui peuvent conduire à des concessions nouvelles. S’ils n’obtiennent pas un succès complet pour la politique révolutionnaire, ils obtiennent du moins l’abandon partiel, successif des garanties d’une politique de libéralisme conservateur. Le gouvernement représenté par ses chefs principaux, M. le président de la république et M. le président du conseil, le gouvernement, nous n’en doutons pas, a la meilleure intention d’empêcher le mal, de résister aux pressions dangereuses, de sauvegarder l’indépendance et la liberté de ses résolutions. Il fait ce qu’il peut ou ce qu’il croit pouvoir. Que peut-il réellement dans ces conditions singulières où il se trouve placé, où il est parfois réduit à reculer devant telle ou telle mesure pour éviter les suspicions, à livrer certains fonctionnaires parce qu’il se compromettrait en les défendant, à prendre des initiatives qu’il est le premier à juger périlleuses dans l’espoir de désarmer ceux qui voudraient aller plus loin encore? Telle est en réalité la situation, et c’est ainsi que tout récemment, par une combinaison dont la dignité du sénat a payé un peu les frais, le gouvernement s’est cru obligé de pallier la défaite de l’article 7 de la loi sur l’enseignement par les décrets du 29 mars sur les congrégations religieuses.

Jusqu’ici, à la vérité, ces décrets restent sans effet pratique. Les luttes dont ils peuvent être l’occasion ne sont point encore engagées; on peut dire que les parties sout en présence. Un certain nombre d’évêques, comme on devait bien s’y attendre, ont déjà adressé à M. le président de la république des lettres parfaitement modérées protestant contre la suppression ou la dispersion des congrégations religieuses; ce n’est là d’ailleurs que le commencement d’une campagne qui s’inaugure à peine. M. le ministre de l’intérieur, de son côté, s’est empressé d’adresser aux préfets une circulaire, même peut-être plusieurs circulaires interprétant les mesures du 29 mars et insistant particulièrement sur ce fait que les décrets, en dissolvant les associations, respectent