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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/958

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entièrement le droit individuel des membres des congrégations. De toutes parts et sous toutes les formes, c’est le préliminaire d’une action qui va s’engager sur ce terrain fameux des « lois existantes. » M. le ministre de l’instruction publique, qui ne doute de rien, a cru pouvoir déclarer l’autre jour aux habitans des Vosges qu’on pouvait être tranquille, que les décrets recevraient leur exécution et qu’il n’en serait rien de plus. Qu’en sait-il pour parler avec cette frivole assurance ? Et quand cela serait, en quoi sa seule affirmation trancherait-elle la question de liberté, de légalité et de droit commun, qui reste entière ? M. le ministre de l’instruction publique, il est vrai, dans sa harangue aux habitans des Vosges, aurait pu invoquer à l’appui de son opinion cette lettre du prince Napoléon qui vient de mettre le feu dans le camp bonapartiste ; mais le prince Napoléon est dans la logique des traditions impériales. Est-ce que la république n’était pas intéressée à répudier ces traditions autocratiques et restrictives pour se confier à la liberté, aux simples armes des lois de droit commun ? La vérité est qu’on sait bien comment ces luttes commencent, on ne sait jamais comment elles finissent, et puisqu’on a commis la première faute en rendant les décrets, la seconde erreur serait de tout aggraver par l’exécution, d’engager irrévocablement la république dans une voie où elle trouverait bientôt plus de périls que de garanties.

La politique de l’Europe a ses reviremens soudains et ses incidens imprévus. Elle vient d’entrer tout à coup dans une phase singulière, assez énigmatique, par deux événemens qui ont été une surprise, qui ont éclaté simultanément, — la démission du prince chancelier d’Allemagne et le résultat des élections anglaises. La démission de M. de Bismarck, on peut bien le penser, n’aura été qu’une de ces fausses sorties que le chancelier de Berlin se permet de temps à autre pour rentrer plus puissant. Pour les élections anglaises, c’est une autre affaire : la question est irrévocablement décidée et elle est décidée d’une manière certainement inattendue par la déroute complète des tories, du ministère de lord Beaconsfield.

Jusqu’à la dernière heure on ne s’en doutait pas. Le chef du cabinet avait choisi le moment qu’il croyait le plus favorable, et il avait engagé la bataille avec la dextérité hardie d’un homme accoutumé à vaincre. Les libéraux eux-mêmes, bien que conduits au combat avec fougue par M. Gladstone, ne se flattaient pas d’obtenir cette fois la victoire ; ils espéraient tout au plus diminuer la majorité des conservateurs et affaiblir le cabinet, pour achever de l’abattre dans une seconde campagne. Dans les capitales de l’Europe, à Vienne et à Berlin, on en était déjà à spéculer sur le succès du ministère anglais. Tout semblait annoncer que l’Angleterre allait généreusement accorder un nouveau bail de pouvoir à l’entreprenant vieillard qui conduisait ses destinées, à l’audacieux