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plus irriguée par de nombreux torrens dont les eaux, parfaitement aménagées, suppléent à l’absence complète de pluies; c’est un des beaux et fertiles coins du monde. La question a donc son importance, et voici sur ce sujet des détails inédits. Le Salado, grossi de l’Atuel, est une rivière de 30 mètres de large et de près de 2 mètres de profondeur en basses eaux, ne courant pas plus de 2 à 3 milles à l’heure. Le terrain qu’il baigne est exécrable; quand ce ne sont pas des marais, ce sont des sables salins et boursouflés où les chevaux enfoncent jusqu’au ventre. De pareils terrains se raffermissent promptement par le piétinement des animaux ; on peut le voir par les routes indiennes qui les traversent et qui sont très solides, bien que bordées de fondrières. Le canal central conserve des dimensions et un courant uniformes; il est seulement coupé de temps à autre par des bancs calcaires faciles à supprimer. Le Rio-Salado, et c’est ici un problème géographique longtemps discuté et qui attendait notre expédition pour être résolu, ne se perd point dans cette mer en miniature de Urre-Lauquen; il en ressort à l’autre extrémité, forme un second lac, le franchit encore, et sous le nom de Curacò s’ouvre résolument, pnur aller se jeter dans le Colorado, un passage à travers les calcaires qui rayonnent autour de Choyqué-Mahuida.

La manière dont il y a fait brèche est digne d’attention. Il a taillé le calcaire à pic, et son lit semble creusé à la pioche; les zigzags qu’il décrit ne présentent pas les courbes onduleuses qui sont si frappantes dans les falaises du Sauce-Chico et du Colorado. On est faxé d’admettre une autre influence que la force d’érosion. C’est probablement l’action que l’eau salée exerce sur le carbonate de chaux. Ces marnes ont dû être attaquées chimiquement. Voilà un autre mode de transport très actif; la nature a varié ses moyens pour accomplir cette œuvre gigantesque, remblayer une mer. Elle s’est amusée à dessiner le cours capricieux du Curacò à l’eau-forte ; on dirait qu’elle a eu conscience qu’il ne s’agissait pas ici d’un paysage gai. Véritablement il ne l’est point : aux abords de Choyqué-Mahuida surtout, au point de jonction du terrain primitif et des premiers dépôts calcaires, c’est une image du chaos. Namuncurà connaissait bien ces taillis rébarbatifs quand il essaya de s’évader au travers. C’est le seul point de la pampa où j’aie vu des sangliers. Comme tout dans le désert a une explication, ils ont certainement gagné ce refige parce que les cavaliers indiens eux-mêmes ne pouvaient let y poursuivre. Ce seul trait vaut une description. Choyqué-Mahuida veut dire montagne de l’autruche. Les sauvages sont généralement plus heureux dans le choix des noms des lieux remarquables. L’autruche habite de préférence les plaines, et ses pattes s’accommodent