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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/119

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n’exhalent pas cette odeur de sang qu’on respire aux débuts de l’humanité.

Nous n’avions pas seulement pris une tribu, nous avions découvert une montagne, la sierra de Lihué-Calel, parfaitement inconnue jusque-là des géographes. C’est peu qu’une montagne, surtout quand elle n’a guère plus de quatre lieues de long; nous avions aussi découvert une mer, ou plutôt les vestiges d’une ancienne mer, du celle qui baignait jadis toute la contrée, et que l’exhaussement da sol a dès longtemps rencoignée au pied des Andes. Nous étions les premiers yeux chrétiens appelés à contempler le fameux lac salé de Urre-Lauquen, que toutes les cartes plaçaient un bon degré pks au nord. Il n’a plus qu’une quarantaine de lieues carrées de surface et diminue tous les jours. On a déjà reconnu les matériaux qui forment Lihué-Calel dans la couleur et la composition du banc de sable argileux qui a nivelé le bas-fonds des « Puits de Garcia; » c’est le nom qu’on donne désormais par antiphrase à ce parage malheureux. La foi n’est pas seule capable de transporter les montagnes; les pluies s’en chargent d’une manière peut-être plus efficace. Elles continuent à charrier au loin le sable qu’elles arrachent à Lihué-Calel, et couchent peu à peu la sierra dans la plaine. Quand on gravit, et ce n’est pas aisé, le pic le plus élevé du massif, et qu’on regarde le paysage à vol d’oiseau, le phénomène saute aux yeux. Au nord-est, du côté par lequel nous étions venus, Urre-Lauquen est séparé du lac de Cupara, qui en dépendait jadis, par une digue naturelle qui à la sortie de la montagne a déjà 2 lieues de large.

Cette digue qui nous avait servi de chemin, s’ouvre en éventail comme devaient s’ouvrir par la diminution de la pente les courans qui l’ont formée, et recouvre plus de 150 lieues carrées. A l’ouest, une chaussée de même origine, s’exhaussant en prolongement d’un de» thalwegs secondaires de la chaîne, a coupé en deux le vaste fer à cheval que le lac formait encore après cette première amputation. C’est sur le sommet de ce dos d’âne que passe la grande route qui va au Chili. Enfin du côté nord, où s’ébauche sur ses rives un ourlet de dunes, Urre-Lauquen est mis en communications avec d’autres tronçons de l’ancienne mer intérieure par le Rio-Salado et la rivière Atuel, venus l’un de San Luis, l’autre de Mendoza, et qui se réunissent à une trentaine de lieues de là.

Ces cours d’eau viennent de pays civilisés, et il y a peut-être là les élémens d’une route fluviale débouchant dans le Rio-Colorado à 15 lieues du Rio-Negro. La province de Mendoza, formée par ces couches de matières d’alluvion de plus de 20 mètres d’épaisseur, préservée des vents glacés de l’ouest par les Andes, est de