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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/128

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peine et les frais nécessaires pour en améliorer le cours. Ce moment ne peut tarder, on en a pour garans la fécondité des terres qu’il baigne et l’importance des points où il conduit.

De la vallée du fleuve il suffit de dire que ce sont des terres d’alluvion; tout le monde sait ce que cela signifie. Les plateaux qui la bordent, composés de dépôts plus anciens, présentent un aspect peu engageant. Ils appartiennent au terrain patagonien, c’est-à-dire que le sable y domine, et comme les pluies sont rares, l’impression d’aridité et de sécheresse est saisissante. Il y a là des mimosées qui ne parviennent pas, faute d’eau, à se couvrir de feuilles, et dont tout l’effort n’aboutit qu’à hérisser d’épines au printemps leurs rameaux pelés. Pourtant, si on examine ce sol, on s’assure qu’il est extrêmement riche, et que l’irrigation transformerait ce désert maussade en un jardin. C’est là le secret de la prospérité de la province de Mendoza et de bien d’autres plaines remarquables que les Arabes ou leurs imitateurs immédiats ont fertilisées. Quelques canaux renouvelleront ici ce miracle; ce n’est certes pas la pente qui manque dans le Nauquen, le Negro et le Colorado pour en faciliter le tracé.

Là n’est pas néanmoins dans l’avenir le principal mérite du Rio-Negro. Ce qui le rend surtout intéressant, c’est qu’il est l’unique voie pour pénétrer dans la région andine. Il est à remarquer que les Andes s’abaissent notablement en cet endroit, et que c’est par là que les aborigènes des deux pentes de la Cordillère d’abord et plus tard les Chiliens d’un côté, les Indiens du versant argentin de l’autre, maintinrent des relations. Selon l’attitude que prendra le Chili, ce sera une route commerciale également favorable aux intérêts des deux pays, ou une brèche par laquelle une armée d’invasion pénétrerait sans difficulté au cœur de ses provinces. Le gouvernement de Santiago a senti déjà combien la disparition des Indiens et l’occupation du Nauquen rendaient sa frontière orientale plus vulnérable. Cela donne lieu d’espérer que, malgré l’antagonisme des deux peuples, la guerre n’éclatera pas entre eux, et que le Rio-Negro n’aura pas à jouer un rôle stratégique. Les occasions ne manquent pas pour l’utiliser à des besognes de paix et de progrès sans aller le faire servir à des entreprises meurtrières. Il n’est pas seulement le chemin des Andes, il se trouve être par ricochet la clé de la Patagonie, que l’on n’occupera efficacement qu’en la prenant à revers, en l’abordant par l’ouest.

Un peu de géologie est encore ici nécessaire, c’est un facteur qui n’est jamais à dédaigner dans l’éclosion d’une civilisation. Le Rio-Colorado est la limite de la formation crétacée; au-delà, le continent a été bâti avec du sable; les stratifications inférieures, reposant sur des cailloux roulés, commencent à se souder par un de ces