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phénomènes que présente la silice comprimée en présence de bases alcalines, et forment des grès encore mous sans doute, mais de véritables grès; les parties superficielles sont plus ou moins chargées d’humus suivant l’ancienneté du dépôt et l’activité de la végétation. La différence qu’on observe entre les deux terrains se retrouve dans les races qui les peuplent. Les Pehuenches ou Araucans, qui habitaient le nord du Colorado et les Andes, n’ont rien des Tehuelches, qui habitent le sud du Rio-Negro. Ils ne se comprennent pas entre eux, et leurs mœurs, leur physionomie, sont aussi différentes que leur vocabulaire. Les Tehuelches ou Patagons sont beaucoup moins avancés que leurs voisins; ils ont l’air de sortir à peine de l’âge de la pierre. On retrouve dans l’île de Choele-Chœl et tout le long de la côte du Rio-Negro les cimetières et les ateliers d’outils de silex et d’obsidienne des premiers habitans; ils paraissent dater d’hier. Les promontoires sur lesquels ils étaient installés à l’abri des inondations sont encore environnés de marais en temps de crues. Il y a un rapprochement qui s’impose à l’esprit : entre les Tehuelches et les habitans de la Terre-de-Feu, dont les hameçons reproduisent, d’après le savant M. Nilsson, les formes et les dessins des hameçons norvégiens de l’époque du silex, il y a, au point de vue du développement intellectuel, tout juste la distance qui sépare les deux races riveraines du Rio-Negro. L’espace qui s’étend de celui-ci au Colorado aurait été, entre Patagons et Pehuenches, ce qu’est le détroit de Magellan entre Fuegiens et Patagons, la limite de deux races d’âges différens et de deux civilisations successives.

Ces indications, sur lesquelles il n’y a pas à insister à propos d’une excursion militaire, font voir du moins quel jeune continent, quelle terre à peine ébauchée c’est encore que la Patagonie. Les parties les plus récemment formées n’ont pas eu le temps de devenir productives. Ln dehors des vallées de deux ou trois fleuves, tout est à l’état de rudiment. La terre végétale manque : quelques herbes coriaces, des arbustes de bonne volonté, des bandes d’autruches et de guanacos voyageurs, l’élaborent sans se presser; les eaux pluviales ne se sont pas creusé de lit, elles s’étalent, croupissent, se chargent de sels de soude et de chaux; tel est l’aspect de toute la côte. Voilà pourquoi les Anglais, qui ont rôdé longtemps autour de cette possession, se sont arrêtés découragés à la porte; voilà pourquoi les Espagnols eux-mêmes, dans leurs explorations par mer, ne sont parvenus à fonder que des établissemens aux noms éloquens : Port-Désiré, Port-Famine, qui n’ont pas tenu. Depuis quelques années, un village créé avec des colons venus du pays de Galles a fini par vivoter auprès du ruisseau de Chubut.