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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/131

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LE
FILS DE PIERRE LE GRAND

I.
L’ENFANCE ET LA JEUNESSE D’ALEXIS. — SON MARIAGE ET SA FUITE.

Il eût fallu le drame d’Eschyle ou de Sophocle pour raconter sa vie. Égaré dans l’histoire moderne, le fils de Pierre le Grand appartient à la lignée fatale qui hantait les vieux tragiques grecs ; devant ce prince supplicié, on ne sait par quelle main, Clytemnestre se serait écriée une fois de plus : « C’est le Destin qui a commis le crime! » — Nous dirons autrement aujourd’hui : dirons-nous mieux? L’histoire hésite éternellement devant le problème, moral que lui posent certaines destinées. Un homme ordinaire naît dans un rang et une époque extraordinaires ; il ne demandait qu’à être médiocre dans une fortune médiocre; réduit à la condition commune, il eût passé tranquille et inaperçu, ni pire ni meilleur que tant d’autres. Voici que la loi, inconnue pour nous, de la distribution des âmes, assigne à cette faible créature une œuvre disproportionnée avec ses forces; elle se trouve jetée dans un tourbillon de volontés puissantes et d’événemens grandioses : ne pouvant se hausser jusqu’à sa tâche, l’être infirme retombe et disparaît, broyé par elle. Il souffre et proteste : pourtant l’œuvre historique qui devait s’accomplir par lui s’accomplit malgré lui et contre lui : son mal est le bien d’un grand peuple. Qui répondra de cette infortune