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leur aînée la tsarévna Sophie. Aux barreaux de leurs cellules, ces malheureuses filles voient pendre durant cinq mois les corps des rebelles suppliciés; ces cadavres gardaient dans leurs mains les pétitions adressées avant la révolte aux princesses complices. Bientôt après, les rigueurs du tsar s’appesantissent sur sa femme. La puissante famille des Lapouchine, à laquelle appartenait l’impératrice Eudoxie, voyait avec douleur la transformation de l’empire. C’étaient des espérances caressées de longue date qui s’effondraient pour ces ambitieux. Jadis la famille qui avait eu la bonne fortune de fournir une épouse au tsar entrait en partage de la souveraineté, dominait dans les conseils de la couronne, usait et mésusait de la faveur. En lisant la chronique orgueilleuse des maisons alliées au trône sous les règnes précédens, on comprend bien la stupéfaction, puis la colère des Lapouchine se voyant évincés par des aventuriers, des Allemands, des strélitz. Ils se rapprochèrent alors de ceux qui menaçaient leur gendre d’une résurrection du passé. Après la conspiration de Sakovnine, en 1697, le père et deux frères de la tsarine furent exilés dans des provinces reculées. Eudoxie, dont le goût pour l’ancien régime n’était pas douteux, se compromit-elle ouvertement avec les siens? On ne sait, ce point du drame de famille est resté obscur. L’année d’après, au retour du voyage de Hollande, Pierre ordonne à sa femme de se retirer à Souzdal, dans le célèbre monastère de la Protection de la Vierge; quelques mois plus tard, l’impératrice prenait la robe sous le nom de sœur Hélène.

Cette séparation, commandée par la politique, ne coûta guère au cœur du tsar, devenu fort indifférent à sa première femme. Sa morale n’avait jamais été scrupuleuse. Deux ans après, il est en liaison avec une belle personne du quartier allemand de Moscou, Anna Mons. Cette favorite se donna les mêmes torts que l’épouse; elle voulut prendre avantage de sa faveur, mêla ses proches à ses malversations, et après quelques années, sentant son pouvoir décliner, elle intrigua pour se faire épouser par Kaiserling, l’envoyé de Prusse. Un couvent referma ses portes sur la belle Allemande. Celle qui lui succéda n’avait, au témoignage des contemporains, ni beauté ni grâce; mais par ses hautes qualités d’âme, elle sut mériter une tout autre fortune. En 1701, après le sac de Marienbourg, quand tous les habitans de la ville poméranienne furent emmenés en captivité, Menchikof garda dans sa part de butin une pupille, disent les uns, une servante, disent les autres, du pasteur Gluck. Catherine Skavronski vécut quelque temps dans le terem du prince; vers 1704 ou 1705, il céda sa captive à son ami et souverain. Elle sut rester humble et discrète, comprendre les grands desseins de Pierre et affermir chaque jour son pouvoir sur ce maître changeant.