l’avait tuée ; chacun le répétait tout bas en revenant des funérailles. On les fit solennelles comme il convenait à son rang, stérile récompense de la mort hâtée par l’ennui d’une couronne. Le tsar, ce curieux obstiné de toutes les choses de la science, assista à l’autopsie de sa belle-fille et suivit les détails de l’opération avec l’attention qu’il portait à tout. Le 27, on exposa le corps dans la grand’salle du palais, tendue de velours rouge, comme était celle de Torgau, quatre ans avant, au jour du mariage. Mais ce ne fut pas, comme naguère, la barque ornée de pourpre et d’or qui promena la princesse sur la Neva ; une frégate noire attendait avec des crêpes sur tout le gréement ; elle porta le cortège au delà du fleuve, à cette église de la citadelle où Pierre voulait reposer avec les siens, et que devait consacrer la première une victime étrangère. La basilique n’était pas encore achevée, ni les caveaux funèbres ; la ville du tsar n’était prête ni pour les vivans ni pour les morts. La pauvre Charlotte dut attendre encore ce qu’elle avait tant désiré, l’oubli et le repos ; sa dépouille resta quelque temps en détresse sous ce ciel glacé.
Tout cela parut si triste aux contemporains que la légende s’empara bientôt de cette mémoire. Dans sa pitié intelligente, l’opinion populaire sentit comme un vague besoin de réparations radieuses, de chaleur et d’amour pour cette jeunesse ensevelie dans les neiges du pôle. Dans la seconde moitié du siècle, il parut en France des mémoires racontant la fuite romanesque de la princesse héritière de Russie ; elle aurait gagné la Louisiane sur les pas d’un officier français qu’elle aimait et vécu longtemps heureuse dans les savanes de la Floride ; sa trace se serait perdue à l’île de France, où elle aurait suivi son nouvel époux.
Alexis montra une vive douleur de la mort de sa femme. On y vit le remords, l’épouvante d’une âme faible devant les coups brutaux du sort, surtout une grande part d’inquiétudes personnelles. Il sentait qu’une influence tutélaire abandonnait sa vie à une heure critique et le laissait seul en face de son père, sur les dispositions duquel il ne pouvait plus se faire d’illusions. Déjà l’année précédente, à son retour de Carlsbad, il disait un soir après boire à ses compagnons : « On me rasera la tête ; que je le veuille ou non, on me rasera la tête ; quand je serai moine, on me jettera en prison, comme Chouiski ; ma vie ne vaut pas cher. » Tant qu’il avait été le seul héritier du trône, il s’était senti moins menacé ; à cette heure, tout changeait ; un fils lui était né, sur qui Pierre pouvait