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mieux; il lui promit en tout cas aide et assistance, l’engagea à se tenir coi dans le plus grand mystère et à attendre la décision de l’empereur. Une crise de larmes calma l’agitation du fugitif mieux encore que les bonnes paroles du chancelier; Alexis renonça, non sans peine, à son projet de forcer cette nuit même les portes du palais et retourna à son gîte avec toutes les précautions de la peur.

Le lendemain, après le rapport du ministre à son souverain, le conseil privé s’assembla pour aviser à cette difficulté imprévue : d’une part la terreur qu’inspirait déjà le tsar de Russie, d’autre part les obligations qu’imposaient à Charles VI l’humanité et les liens du sang, tout rendait l’affaire délicate. Cependant les politiques autrichiens acceptèrent comme une heureuse chance le hasard qui leur livrait, avec un précieux otage, le moyen de s’immiscer dans les affaires russes et de peser sur l’avenir du jeune empire. Au sortir du conseil, Schœnhorn reçut le tsarévitch et lui fit part de la décision de son maître; l’empereur consentait à donner secrètement asile au fugitif et à s’employer en sa faveur auprès du tsar. Il semblait préférable qu’Alexis ne vît pas son beau-frère, pour ne pas ébruiter sa présence à Vienne; on trouverait un lieu sûr où le cacher jusqu’à la réussite des négociations qui devaient le réconcilier avec son père. Alexis consentit à tout, sous la promesse qu’on ne le livrerait pas à ce père; c’était, jurait-il, le livrer au supplice, car aucune réconciliation n’était possible entre eux. effrayé lui-même de l’audace qui l’avait poussé à fuir, le malheureux tremblait à la seule idée de la colère que Pierre avait dû ressentir de cette fuite.

Deux jours après on le mena, « par ordre souverain et dans le plus grand secret, m à Weïerburg, à six milles de Vienne. Là un des conseillers de l’empereur vint lui faire subir un nouvel interrogatoire. — Quand le tsarévitch eut répondu à toutes les questions qui lui furent posées, son interlocuteur lui déclara que, pour le mieux céler et protéger, Charles VI avait résolu de l’interner dans une des forteresses de l’empire, sous le couvert d’un prisonnier d’état. Alexis n’y fit aucune objection; il se borna à demander instamment l’assistance d’un prêtre de rite grec. Il lui fut objecté qu’il serait impossible de satisfaire à cette exigence sans compromettre le secret de sa retraite. Le 27 novembre, le fugitif et sa petite suite quittèrent Weïerburg avec l’attelage d’un paysan, escorté de deux drabans. Ils se dirigèrent vers Salzburg; de là ils s’engagèrent dans les montagnes et traversèrent le Tyrol septentrional jusqu’à la vallée de la Lech.

Les rares voyageurs qui se rendent de Bavière dans le Vorarlberg ou à Inspruck par cette vallée sauvage doivent franchir près du