Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingtaine de soldats. Le faux Suédois entreprend son siège ; troublé plus d’une fois par les tracasseries des autorités impériales, renvoyé à Inspruck, surveillé de près, il revient toujours rôder autour d’Ehrenberg, reconnaît Alexis, renseigne exactement l’ambassadeur sur les faits et gestes du détenu et attend l’occasion. Armé des lettres de cet officier, Vessélosvki multiplie ses démarches à Vienne auprès du prince Eugène et du souverain. Déjà on n’ose plus nier ouvertement ; la tactique est maintenant d’éconduire l’agent en assurant que l’empereur écrira directement à son frère de Russie pour le satisfaire au sujet d’un fils égaré, en plaidant la cause de ce dernier. Tout cela n’avançait guère notre diplomate ; heureusement le petit référendaire, si utile à l’ambassade russe, y vient causer de temps en temps ; ce personnage a surpris une conversation entre le comte 41nzendorf et le prince Schwarzenberg ; ces hauts dignitaires sont d’avis qu’il ne convient pas d’entrer en lutte avec le tsar pour une allaire de cette nature et qu’il serait sage de lui céder moyennant quelques promesses. Évidemment le conseil est divisé. Vessélovski mande ces détails à Pierre en lui suggérant de parler haut, d’écrire de nouveau à l’empereur sur un ton de menace.

Le cabinet de Vienne répugnait en effet à s’engager dans des embarras graves pour protéger Alexis. Tant qu’on avait pu celer sa présence ou recourir à de vagues défaites, on s’était estimé heureux de posséder un otage de ce prix ; il devenait gênant le jour où il fallait risquer pour lui une rupture avec le tsar. On eut un moment la pensée de recourir au roi d’Angleterre, George Ier, qui était apparenté à la maison de Brunswick : l’envoyé du saint-empire fut chargé de lui exposer confidentiellement la situation du tsarévitch. « Ne laissez pas voir, portaient les instructions de Schœnborn, combien nous craignons le tsar, mais représentez à sa majesté les devoirs que lui imposent, conjointement avec nous, les liens du sang qui nous rattachent tous à ce malheureux prince. » — Alexis, au courant de tout, faisait agir simultanément à Londres le boïar Bestoujef-Rioumine, passé au service anglais. Le roi George, peu désireux de se mettre de nouveaux soucis sur les bras, ferma l’oreille à ces ouvertures. On résolut alors à Vienne de dérouter les Russes par un nouveau coup de théâtre. Dans le courant de mai, le précieux référendaire apprend à Vessélovski qu’un courrier est parti du cabinet même de l’empereur pour Ehrenberg ; ce courrier n’est autre que le secrétaire Kühl, le convoyeur ordinaire de notre infortuné voyageur. Kühl arrive au burg tyrolien avec une note de Schœnborn avertissant le prisonnier des mauvais côtés de la situation et lui laissant pressentir les hésitations de la cour.