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l’utilité d’éclairer l’opinion publique par un débat solennel où les chefs de l’opposition trouveraient en face d’eux, au lieu d’auditoires ignorans et crédules, des contradicteurs prêts à faire justice de toute assertion hasardée. Lord Beaconsfield paraît avoir hésité, et c’est le 22 avril seulement qu’il a remis entre les mains de la reine la démission du cabinet.

Une question plus importante était de savoir quel serait le successeur de lord Beaconsfield : cette question est devenue un sujet de préoccupation pour les libéraux, dès que la chute du ministère a été certaine. M. Forster a confessé que l’opposition avait à sa tête trois hommes, lord Granville, lord Hartington et M. Gladstone, qui pouvaient, tous les trois, être appelés à former le nouveau cabinet : il ne leur assignait pas de rang, et déclarait les libéraux prêts à servir indifféremment sous celui des trois qui serait appelé à la première place. Une préférence marquée pour lord Granville a été immédiatement manifestée par tous ceux qui désirent que la direction des affaires demeure en des mains modérées et qui connaissent le peu de sympathie de la reine pour la personne de M. Gladstone. C’est d’ailleurs à lord Granville, depuis longtemps le chef accrédité des libéraux dans la chambre des lords, que M. Gladstone écrivit officiellement en 1875 qu’il renonçait à la direction de l’opposition dans la chambre des communes, et cette démarche fut considérée comme une abdication en faveur de cet homme d’état. Lord Granville a reçu de la reine, en 1859, la mission de former un cabinet ; un refus de lord John Russell fit échouer ses efforts : il n’a donc pas encore occupé les fonctions de premier lord de la trésorerie ; mais il a été ambassadeur et ministre des affaires étrangères ; il est fort considéré dans le monde de la diplomatie, et nul ne méconnaît que, dans les circonstances actuelles, il n’y aura point pour les futurs conseillers de la reine de tâche plus délicate et plus importante que la direction du Foreign-Office. Seulement, lord Granville est un whig de la vieille école : son libéralisme, tempéré par l’expérience et par la modération naturelle de son caractère, paraît singulièrement tiède aux radicaux qui forment la fraction la plus nombreuse et la plus active de la nouvelle majorité.

L’appel de lord Granville aux fonctions de premier lord de la trésorerie ne faisait d’ailleurs que déplacer la difficulté. Qui aurait la direction du parti ministériel au sein de la chambre des communes ? Il semble que les droits de lord Hartington à occuper Ce poste ne pouvaient faire l’objet d’un doute après le rôle qu’il a joué dans le dernier parlement ; mais il manque à cet homme d’état la consécration d’une longue possession. Malgré sa haute naissance, il est demeuré longtemps un membre assez obscur de la chambre des communes. Il a fait partie du dernier cabinet libéral, mais il y