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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/191

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occupait le poste secondaire de secrétaire pour l’Irlande : on ne peut donc pas dire qu’il ait l’expérience des grandes affaires. Il n’est devenu le chef de l’opposition qu’après la retraite volontaire de M. Gladstone, et bien qu’il ait fait preuve de beaucoup de prudence et de tact dans la conduite des débats parlementaires, son autorité n’a pas été acceptée sans contestation et elle a été plusieurs fois m connue par quelques-uns des libéraux, dès que M. Gladstone a reparu à la chambre des communes. Lord Hartington lui-même s’est montré disposé à abdiquer toute prétention plutôt que d’être discuté et de courir le risque d’un échec. M. Cross avait pris acte de l’aveu de M. Forster pour dire qu’il était bien malaisé de savoir où l’opposition conduirait le pays puisqu’elle hésitait entre plusieurs chefs dont chacun imprimerait une direction différente à la politique. Lord Hartington répondit à ce sarcasme dans un discours prononcé à Cranshaw, près de Burnley : «M. Cross, dit-il, se déclare de plus en plus désireux de savoir quel est le véritable chef du parti libéral, de M. Gladstone ou de moi. C’est une question qui ne vaut pas la peine d’être débattue. M. Cross apprendra assez tôt ce qu’il en est. Ni M. Gladstone ni moi ne songeons à revendiquer la direction de notre parti : c’est une question qu’il appartient au parti lui-même de trancher. D’ailleurs, M. Cross devrait se souvenir que, s’il y a lieu d’effectuer un changement de gouvernement, c’est à Sa Majesté qu’incomberait le devoir de décider à qui elle devrait donner mission de remplacer le cabinet actuel. Si M. Cross s’est proposé de semer la désunion et de créer des rivalités au sein du parti libéral, je puis l’assurer qu’il perd sa peine parce que notre confiance mutuelle est complète, et quel que soit celui qui sera choisi pour être le chef du parti, il peut compter sur l’appui cordial et la coopération de ses collègues. » On ne pouvait attendre plus de modestie et de désintéressement de la part d’un homme qui était fondé à se croire des droits acquis et hors de contestation. Rien mieux que cette attitude de lord Hartington ne prouve les embarras créés à l’opposition par la personnalité toute-puissante de M. Gladstone. Il est bien difficile de gouverner avec lui, et il paraît impossible de gouverner sans lui.

Si l’on ne savait que M. Gladstone est irrésistiblement emporté par l’impression de l’heure présente et qu’il oublie avec une extrême facilité et une parfaite bonne foi, non-seulement ce qu’il a pensé, mais ce qu’il a dit en d’autres temps, on le prendrait volontiers pour un grand comédien : il n’est que le jouet inconscient de son humeur mobile et de son tempérament ardent. Qui ne se souvient de cette scène vraiment plaisante du parc d’Hawarden? M. Gladstone, refusant de recevoir une députation d’ouvriers, sous prétexte qu’il a renoncé à la politique, puis, lorsqu’il a cédé à leurs