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ils n’auraient pas osé faire le procès au parlement en mène temps qu’au ministère, en attaquant avec violence des actes sanctionnés par la législature. C’est M. Gladstone qui a entraîné dans cette voie le parti libéral ; c’est lui qui a remué les masses électorales et frappé les esprits par son ardeur, sa ténacité et jusque par les intempérances de son langage; c’est son intervention qui a donné aux résultats de la lutte leur signification. Ce n’est pas seulement avec lui, c’est pour lui que des milliers d’électeurs ont cru voter. Les députés radicaux, dont le nombre vient d’être considérablement accru, ne veulent pas d’autre direction que la sienne et n’admettent point que le pouvoir puisse être remis en d’autres mains.

C’est donc en vain que M. Gladstone lui-même prétendrait que son nom peut être tenu en dehors des combinaisons ministérielles : le rôle qu’il a pris volontairement dans la lutte et la situation qui lui est faite par le résultat des élections s’opposent à ce qu’il en soit ainsi. Ajoutons que l’illustration de son passé, son immense talent et jusqu’aux défauts de son caractère, permettent encore moins de le laisser à l’écart. Dans quelle anxiété continuelle vivrait un cabinet libéral dont il ne ferait pas partie? Quelle est la mesure dont le succès pourrait être espèce si M. Gladstone devait la désapprouver et la combattre ? Quel chancelier de l’échiquier présenterait avec confiance un budget ou une mesure financière qui seraient exposés aux critiques d’un juge aussi compétent et aussi redoutable ? Ce serait donc une injustice manifeste et un immense danger que de laisser en dehors du futur cabinet la force la plus active et la plus puissante qui soit au sein du parti libéral, car cette force, possédée d’un continuel besoin d’expansion, ne tarderait pas à se tourner contre le ministère. Il est donc indispensable que M. Gladstone fasse partie du cabinet, afin que son impétuosité naturelle et ses écarts soient contenus par le frein de la solidarité ministérielle; et que le gouvernement ait le bénéfice de ses lumières et de son éloquence sans les périls d’un dissentiment; mais quelle situation lui faire? Le Times, qui semble appréhender beaucoup que M. Gladstone ne redevienne premier ministre, a soutenu avec une grande insistance qu’à l’exemple de ce qui s’est fait quelquefois pour des hommes d’état à qui le déclin de leurs forces interdisait de prendre une part active à l’administration, on pourrait proposer au vieil athlète de siéger dans le cabinet comme ministre sans portefeuille, et que cette situation s’accorderait à merveille avec son âge et avec le besoin de repos qu’il duit éprouver. N’est-ce point là une illusion ? N’est-ce point méconnaître le caractère de M. Gladstone, le besoin, d’action qui le dévore, l’impatience qu’il a toujours montrée de passer immédiatement de la conception à l’exécution, que de vouloir réduire un pareil homme au rôle de conseiller politique?