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instances, les conduisant devant un arbre qu’il veut abattre et se mettant à la besogne, sans mot dire, pendant une demi-heure, tandis que les ouvriers recueillent et mettent dans leur poche, à titre de souvenirs, les éclats de bois que fait voler la hache du bûcheron improvisé? Il les renvoie ensuite avec un petit discours sur les bienfaits de la lumière et du grand air; mais son fils aîné n’a cessé de parcourir les rangs des ouvriers, en leur faisant remarquer la vigueur paternelle, et en leur répétant : «N’est-ce pas qu’il est capable de conduire encore la chambre? n’est-ce pas qu’il doit la conduire encore?» Que dire de son brusqua retour au sein de cette chambre des communes à laquelle il avait dit adieu et où il prend la parole presque tous les soirs ? Quelle comédie encore que ces fameuses résolutions sur la question d’Orient qu’il retire un jour pour donner l’exemple de la déférence envers le chef de l’opposition, et qu’il reprend le lendemain parce que sa conscience lui en fait une obligation?

M. Gladstone a repoussé avec indignation l’imputation de vouloir dominer un ministère dont il ne ferait pas partie et d’exercer ainsi le pouvoir sans en porter la responsabilité. Rien ne serait, a-t-il déclaré, plus contraire aux règles constitutionnelles : ce serait la négation du régime parlementaire. Il s’est défendu également de viser à la succession de lord Beaconsfield ; c’est uniquement dans l’intérêt du pays qu’il a voulu le renverser. Dans un discours prononcé à West-Calder, il a affirmé que « ni directement ni indirectement il n’avait donné à entendre aux électeurs du Mid-Lothian ni à personne autre qu’il fût venu dans le comté comme chef du parti libéral, et qu’un retour au pouvoir fût, à son âge, l’objet de ses désirs. » M. Gladstone avait raison s’il parlait de la campagne qu’il a faite depuis la dissolution du parlement; mais il oubliait le langage qu’il a tenu, l’automne dernier, lorsqu’il s’est mis en route pour l’Ecosse. Ses discours et ses actes étaient alors ceux d’un chef qui donne le signal et l’exemple à ses soldats; et c’est ainsi qu’ils ont été universellement interprétés.

Admettons que l’on se soit complètement mépris sur les intentions comme sur les paroles de M. Gladstone; les faits sont là qui lui créent, en dépit de ses protestations, une situation à laquelle il ne saurait se soustraire. Il n’est douteux pour personne que si M. Gladstone fût demeuré à Hawarden, se tenant à l’écart de la politique, et fidèle à cette réclusion dans laquelle il déclarait, il y a cinq ans, vouloir passer les dernières années de sa vie, la campagne électorale aurait eu un tout autre caractère. Non-seulement lord Hartington et lord Granville ne l’auraient pas conduite avec autant d’activité et d’énergie, mais ils n’auraient pas poursuivi le ministère avec le même acharnement et la même amertume, et surtout